Conférence CODALI

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Introduction

« Les progrès de la médecine, associés à un suivi spécialisé peuvent-ils effacer le handicap ? » Conférence CODALI le 1er mars 2011

 

Introduction

 

Tout d'abord, permettez-moi d'adresser quelques mots de remerciements a la directrice de cet établissement Madame Descourtieux ainsi qu'a ma collègue Madame Isabelle Almarcha pour leur aimable invitation. Ces remerciements ne sont pas de pure forme. En effet, j'ai trouvé grâce à cette invitation, l'occasion de réfléchir aux questions qui découlent du propos de ce soir. Comme vous le savez, les psychanalystes et tous ceux que l'on regroupe indistinctement et bien à tort sous vocable de psy, ne sont pas réputés être des gens très bavards. Sans doute cette réputation est-elle justifiée s'agissant des consultations où ils vous reçoivent car ils ne sont pas là pour vous raconter leur vie mais bien plutôt avant tout pour vous écouter.

 

Mais si vous avez l'occasion de les croiser dans un cercle privé vous vous apercevrez rapidement que ce sont à contrario d'intarissables bavards. Ceci expliquant sans doute cela. Je vais donc tenter de ne pas abuser de votre temps.

Un court rappel de l'histoire de la pensée contemporaine

 

Malgré tout, je ne vois pas comment traiter cette question sans la prendre tout de même d'un peu loin. Car, au fond, à la question soulevée ce soir « les progrès de la médecine, associés à un suivi spécialisé peuvent-ils effacer le handicap ? », je pense que vous aurez tous répondus « non ». Dans le cas contraire, je crois que vous ne vous seriez pas déplacés. Comment penser, en effet qu'un tel événement puisse s'effacer ? cela paraît tout à fait inconcevable et pourtant je souhaite vous montrer ce soir que cette réponse spontanée et consciente ne va pas de soi. Que même si nous pensons cet effacement comme impossible nous agissons parfois, et j'ose dire presque toujours, comme si précisément c'était le cas. Cela s'appelle le refoulement, mais le refoulement n'est pas l'oubli et ce qui est refoulé continue silencieusement où bruyamment selon les cas à agir en coulisses.

 

Maintenir présente à l'esprit l'idée qu'il n'y a pas d'effacement possible implique une attitude, un mode de pensée, une façon de voir les choses et d'aborder les problèmes qui s'écarte quelque peu de l'air du temps. Tout nous pousse, en effet, vers l'attitude inverse, celle qui consiste à vouloir tourner la page, à se tourner résolument vers l'avenir en cherchant à oublier les évènements douloureux que nous rencontrons tous d'une façon où d'une autre au cours de notre vie. . On peut même dire qu'il y a là une position idéologique très forte, dont la concrétisation est visible dans les pays anglo-saxons avec comme avantage une véritable politique d'intégration des handicapés dans la vie quotidienne associée à une facilitation très positive des moyens mis à leur disposition dans l'espace public mais en contre partie précisément une négation de la dimension inconsciente, une intégration par la banalisation.

 

Je vous invite donc, pour débuter, à me suivre dans un rapide retour dans l'histoire. Il est juste de dire que jusqu'à l'aube du 20e siècle les hommes ont surtout eu comme obsession- outre celle de faire leur salut- de se distinguer des animaux. L'une des pratiques les plus étonnantes pour nous, hommes du 21 e siècle, et qui témoigne de cette préoccupation des temps anciens, est celle qui a consisté a remodeler le crâne des nouveau-nés, ce que faisaient régulièrement les matrones bien après la période du Moyen-Âge. Cette pratique extrêmement répandue visait a faire disparaître toute trace d'animalité que l'enfant vagissant pouvait évoquer. L'ondoiement et/ou le baptême venant confirmer ce passage, l'établissement de cette frontière franchie par cet enfant venu d'ailleurs, venu du ventre d'une femme. Sans doute nos ancêtres, de par leur mode de vie quasi exclusivement rural, et qui les conduisaient à avoir une proximité avec le monde animal, étaient-ils conduits à vouloir  s'en distinguer ce à quoi la religion bien entendu les aidait. On sait le scandale provoqué par Darwin dont la théorie, en démontrant scientifiquement la continuité entre l'animal et l'homme au cours de l'évolution, a mis en tension cette frontière et l'on sait aujourd'hui encore, quels débats sont provoqués aux USA à ce propos- débats qui sont loin d'être clos comme vous le savez sans doute- et que l'on ne peut comprendre, il me semble, qu'en les situant dans cette perspective.

 

A partir de la grande tuerie de 1914 qui ouvre, comme on sait et de quelle manière le 20 e siècle, tout change avec la disparition progressive du monde rural. Et c'est un tout autre concept qui apparaît alors. J'écoutais récemment sur « France culture » une série d'émissions consacrées au grand philosophe français Maurice de Condillac. Celui-ci soulignait combien la guerre avait  donné le départ de la formidable course en avant technologique dont nous avons aujourd'hui a la fois les bénéfices et les inconvénients. C'est le paradoxe de la guerre qui au prix des atrocités que l'on sait, produit également un effort prodigieux des nations luttant pour leur survie. Quoi qu'il en soit le résultat fut une accélération technologique sans précédent accélération dont nous bénéficions aujourd'hui dans tous les domaines. Il va de soi que les conséquences n'en furent pas que pratiques. Et si la médecine a largement bénéficié des progrès ainsi réalisés, progrès dont chacun de nous du moins dans les pays occidentaux a profité largement- comme l'indique sans conteste l'augmentation considérable de l'espérance de vie. (vous savez que c'est tout de même un privilège de nantis) mais aussi le confort de la vie quotidienne – je vous laisse a penser une vie sans dentiste pour soigner un abcès -cela ne fut pas sans conséquence sur notre manière de penser. Comment en effet résister a ce progrès qui semble aujourd'hui sans limites. Et comment la pensée elle-même pourrait-elle résister à l'influence qu'un tel progrès, qu'une telle avancée, dont les bienfaits sont sous nos yeux chaque jours, apporte chaque jours. Comment imaginer même une fin où seulement un ralentissement de ce processus et finalement comment ne pas s'incliner devant un tel triomphe et lui céder sur tout ?

 

 

Le corps machine

 

Tout semble devoir nous convaincre enfin de tout rapporter à ce dernier et pourquoi pas dès lors penser notre corps comme une simple machine. Rassurez-vous ou inquiétez-vous je ne sais, en tout cas, c'est sans conteste le cas. Et si nous n'avons habituellement que des échos assourdis de ce qui se joue aujourd'hui dans les laboratoires, il semble que ce fantasme y soit clairement a l'œuvre. Un de mes proches qui se trouve être responsable d'un laboratoire de biologie a l'université de Montréal m'a récemment fait passer un article de l'un de ses confrères, article paru dans une revue extrêmement sérieuse. Dans cet article l'auteur déclare qu'il faut en finir avec les faux semblants et reconnaître que tout nous conduit à considérer que l'homme n'était qu'un assemblage de cellules et que le déterminisme biologique conduit sans contestations a la fin du libre arbitre. Qu'il faut dans tous les domaines, y compris celui de la justice, en tirer enfin toutes les conséquences.

 

S'inscrit dans cette lignée tous ceux qui poursuivent une recherche visant à supprimer la mort comme processus naturel et nombreux sont de fait les chercheurs penches sur la question de la mort naturel des cellules. (On nomme apoptose (ou mort cellulaire programmée, ou suicide cellulaire) le processus par lequel des cellules déclenchent leur auto-destruction . Cette recherche tout à fait importante à n'en pas douter, se soutien d'un but plus ou moins inavoué et qui est à n'en pas douter la quête de l'éternité sur terre. Enfin dernier exemple en date, ce trop fameux « bébé médicament » que l'on nous invite à ne pas appeler ainsi et qui consiste à faire naître un enfant susceptible de participer à la guérison d'un frère né antérieurement et porteur d'une maladie génétique. Pourtant l'appellation spontanément adoptée ne laisse aucun doute sur le fantasme ici à l'œuvre : faire d'un enfant le porteur de pièces de rechange pour un frère ou une sœur nés avant lui.

 

On voit par la combien les progrès de la technologie et de l'ingénierie biologique influent sur notre manière de penser, c'est-à-dire la façon dont nous considérons notre vie et agissons pour la rendre meilleure.

 Si nous pensons, et je sais que tel n'est pas votre opinion, que l'homme est une machine certes complexe mais tout de même un ensemble biologique et que cet ensemble nous résume , alors il est légitime de penser que l'on peut en remplacer des pièces défectueuses ou manquante sans autre conséquences sur la vie de chacun. Si, au contraire nous nous vivons comme des êtres pensants pourvus certes d'un corps mais aussi d'une histoire, d'une pensée, d'un inconscient dont la complexité et les multiples afférences nous font ce que nous sommes, des êtres pris dans le langage, en relation avec d'autres êtres humains, alors la réponse de la biologie apparaît, si elle se ramène à cette caricature déterministe, d'un affligeant réductionnisme tout autant que ceux qui tentent de réduire notre vie à des comportements stéréotypés. Le vie humaine, la vie psychique sont d'une étonnante complexité qui en font à la fois la fragilité mais aussi l'intérêt.

   

La pensée comportementaliste et l'oubli : l'exemple des cellules psychologiques.

 

Prenons un autre exemple. Vous ne pouvez guère aujourd'hui ouvrir une radio ou allumer votre télévision sans entendre de la part des journalistes le mot de « cellule psychologique »

 

Les drames divers et variés dont nous abreuvent à longueur de journée les médias ne sauraient s'égrener sans qu'aussitôt le mot de « cellule psychologique » ne soit employé. Ah qu'il est doux à entendre ce mot. Ainsi face au malheur rencontré par soi ou par autrui nous ne sommes pas sans ressources. Il y a des « cellules psychologiques » qui vont se déployer et apaiser ainsi nos souffrances ! Peut-être face à l'adolescent soumis à la violence, à celui qui a tout perdu dans telle ou telle catastrophe y aurait-il mieux a faire que de déployer cette dite « cellule psychologique », mais c'est comme résoudre un problème en créant une commission ça permet de voir venir et de laisser chacun attendre la prochaine catastrophe et le prochain apitoiement qui ne saurait tarder a venir. Mais enfin qu'attend-t-on de la dite « cellule » - le mot n'est sans doute pas choisi par hasard-  certes pas un miracle de la biologie. L'image qui vient à l'esprit  serait plutôt celle d'un ordinateur dont on viderait la mémoire en appuyant sur une touche « effacement ». non pas que le récit à chaud soit inutile, mais enfin c'est encore une fois une vision parfaitement réductrice de l'esprit humain que de penser faire l'économie de l'intégration de ce traumatisme dans l'histoire de ceux qui l'ont subi.

 

Un autre exemple que je veux évoquer rapidement concernant l'erreur de la banalisation d'un événement de la vie concerne la question de l'avortement. Je suis d'une génération qui a vu la légalisation de l'avortement et par là même la suppression de sa criminalisation ainsi que des conséquences épouvantables que l'avortement clandestin a fait supporter à des générations de femmes. Cependant la tendance à l'époque et en particulier de la part des médecins qui militaient pour la libéralisation de l'avortement était de tendre précisément à faire de cet acte un acte banal aux suites médicales simples. Nous avons été à l'époque quelques-uns à dénoncer cette tendance car dans le refuge de nos consultations nous entendions quotidiennement la souffrance que cela pouvait entraîner chez celles qui avaient du y avoir recours et qui, face à ce discours de la banalisation étaient contrainte de taire leur souffrance.

 

 

 

 

 

Le statut de parent

 

Je dis parfois en manière de boutade qu'il faudrait que l'État, lui qui cherche de plus en plus à gérer notre vie privée, que l'État se décide enfin à promulguer un permis d'être parent comme il y a un permis de conduire les voitures tant le métier de parent ne va pas de soi et n'a rien d'un savoir spontané et intuitif. Conduire une voiture expose à menacer la vie d'autrui ainsi que la sienne par la même occasion. Il en est parfois de même pour le fait d'être parent. Ce permis, soit dit en passant, existe pour les postulants à l'adoption et la pertinence des résultats me laisse parfois quelque peu perplexe et ce dans les deux sens ceux qui sont acceptés et ceux qui sont recalés. Mais, et c'est bien le paradoxe, cet examen s'il venait un jour par malheur à exister, nous recalerait tous car, comme vous le savez, parent on le devient et c'est un long chemin, un long apprentissage.

 

Quoi qu'il en soit cet état de parent est devenu comme un sésame du bonheur. On ne saurait apparemment être heureux aujourd'hui sans avoir un ou plusieurs enfants. Cela conduit même les homosexuels à réclamer de le devenir. La réalité, comme vous le savez est un peu différente de cette image d'Épinal, et l'on ne compte plus les couples qui ont payés de leur existence même leur souhait d'avoir un enfant, soit par ce que l'un ou l'autre ne le souhaitait pas ou ne le pouvait pas, soit parce que les bouleversements qu'entraînent la venue d'un enfant sont très loin de correspondre à un surplus de bonheur que les contes de notre enfance nous laissaient bien a tort entrevoir « ils se marièrent, furent heureux, ils eurent beaucoup d'enfants ».

 

 

Avoir des enfants : un gage de bonheur

Il m'arrive parfois, pour ne pas dire souvent de croiser des couples qui ont pensé ou pensent bien à tort que mettre un enfant au monde va simplement ajouter quelque chose à leur vie. Mais bien au contraire d'ajouter, il s'agit chacun de vous le sait, d'accepter une transformation en profondeur de sa vie, transformation aux conséquences souvent peu anticipées, voir le plus souvent déniées puisqu'il s'agit d'une transformation qui nous conduit à renoncer à certains plaisirs, à en différer d'autres à partager en somme son temps très différemment que par le passé car les journées n'ont toujours que 24 heures.

 

Tous ceux qui souhaitent devenir parent n'y sont pas préparés et cherchent bien souvent à avoir un enfant en plus ce qui conduit très rapidement dans le mur le couple ou l'un de ses composants.

 

 

L'enfant imaginaire

 

Nous avons tous, lorsque l'on pense à l'enfant que l'on souhaiterait avoir, une idée assez vague au moins consciemment de la façon dont nous voudrions que soit cet enfant. En fait il s'avère que cette image que nous projetons sur l'enfant en projet ou déjà conçu, ce que nous appelons dans notre jargon l'enfant imaginaire, se révèle à l'usage, bien plus contraignante que cela pourrait apparaître dans un examen superficiel.

 

Je reçois, comme vous le savez des enfants très jeunes mais aussi des adolescents et des adultes. Je suis frappé du fait que ce rapport à l'enfant imaginaire se poursuit bien au-delà de la naissance et qu'on le retrouve tout particulièrement a l'adolescence. Et le temps passant, nos enfants devenus adultes, devenus parents eux-mêmes, nous confrontent parfois douloureusement, mais le plus souvent inconsciemment, au rapport existant entre l'enfant imaginaire qui persiste dans notre inconscient et qui diffère bien évidemment pour le père et la mère, et l'enfant de la réalité dont les choix sont différents des nôtres dont comportements nous étonnent voir nous révoltent dans tous les cas nous bouleversent.

 

« Mon fils passe ses journées à lire et à écouter de la musique au lieu d'aller voir ses copains et de courir les filles comme je le faisait à son âge. Il passe son temps à vouloir être avec moi et m'accompagne partout où je vais. » me dit un jour un père dépité par le comportement de son fils.

À mon tour de l'interroger sur ce dépit et ses motifs :

est-il donc avec vous d'une compagnie désagréable ? Cherche-t-il à vous provoquer ?

« non, pas du tout » me répond-t-il au contraire.

Cette description somme toute positive du comportement de son fils marque la cruelle déception de ce père face à un enfant dont les choix, les désirs s'écartent de ceux attendus par ses parents, un enfant qui n'est pas à l'image de l'enfant imaginaire et auquel il faut se confronter.

 

Toutefois, cette confrontation à l'enfant imaginaire comme source de difficultés est difficile à percevoir ou à admettre et cela représente certainement une part importante du travail que je suis amené a faire avec les parents.

 

Il va de soi que lorsque l'enfant souffre d'un handicap, la confrontation avec l'enfant imaginaire est brutale et parfois destructrice. Le couple, vous le savez, peut parfois en sortir renforcé, les liens familiaux sollicités par la nécessité de faire face à des contraintes multiples obligent à demander l'aide de la famille et les grands parents, s'ils sont volontaires mais aussi disponibles se trouvent souvent impliqués pour venir en aide aux parents débordés, face a une organisation de la vie quotidienne imprévisible. La nécessité de faire souvent de façon définitive des choix qui engagent la vie de son enfant, qui obligent à décider en traitant des informations venant de partout et toutes plus ou moins contradictoires. Bref, vous le savez, cette période est le plus souvent l'occasion  de bouleversements majeurs.

 

Causalité et culpabilité

 

La question de la cause du handicap renvoie à la question toujours à l'œuvre de la culpabilité qu'elle soit consciente ou inconsciente. Le lien fait avec telle où telle action, tel où tel comportement est évidemment au centre d'un raccourcis de la pensée qui cherche à créer des liens de causalité liens qui persistent et rongent les couples et les familles le plus souvent à leur insu. « Si elle n'avait pas fumé durant sa grossesse, ce ne serait pas arrivé » soutien tel où tel membre de la famille. « Ce voyage en voiture pour aller voir ses beaux-parents alors qu'elle était enceinte de 6 mois franchement quelle idée ». Etc.

 

Personne ne peut échapper alors à ce type de questions. Mais comment y faire face ?

 

On voit poindre ici la question du traumatisme. Loin de se limiter à une réparation, a une opération, les bouleversements liés à la naissance d'un enfant handicapé impliquent un long et parfois douloureux parcours psychique. Ce parcours conduit à évoquer les multiples questions qui se trouvent soulevées et à intégrer l'événement dans le récit de sa vie. Car notre vie est un récit et si demeure un événement qui n'y trouve pas sa place alors c'est tout l'équilibre de l'ensemble qui se trouve menacé.

 

Ce récit se confronte alors à différentes contraintes inconscientes. Ces contraintes ne sont pas indépassables, elles doivent cependant être mises à jour. Ce que nous ne savons pas de nous-mêmes c'est ce qui doit être dit. La contrainte n'est pas indépassable, mais l'ignorer conduit à supporter le poids des blessures qui ne se ferment pas.

 

Handicap caché handicap assumé ?

 

Ce travail, les parents ne sont pas les seuls à devoir le faire. En premier lieu, il y a ceux que l'on oublie volontiers : les frères et sœurs. Comment vont-ils vivre l'attention redoublée sur le petit frère ou la petite sœur ? Le partage du temps, parfois une surprotection involontaire de l'enfant handicapé ?

Exemple : une petite fille sourde rentre en larmes chez elle ; Interrogation des parents auprès de l'institutrice qui décrit l'enfant comme extrêmement sage et bonne élève, très entourée par une foule de copines. Parole de l'enfant interrogée sur sa tristesse : « la maîtresse ne m'aime pas. D'ailleurs elle ne me punit jamais, elle ne me traite pas comme les autres »

 

Ce travail n'est pas ponctuel. Il se poursuit dans le temps car l'enfant grandit et change. Lui aussi s'interroge lorsqu'il grandit qu'ai-je fait de mal pour être handicapé. Ce handicap est-il une punition pour quelque chose que j'ai fait ?

Coupable, il peut aussi penser qu'il l'est par la déception qu'il semble avoir causé à ses parents et surtout à sa mère.

Ses questions varient et la réponse des parents pas toujours en phase avec l'interrogation de l'enfant. Vient l'adolescence et la rencontre avec la sexualité dans sa manifestation de la rencontre avec un partenaire amoureux. Que lui montrer, qu'oser ? provoquer, faire le brave alors que l'on meurt de trouille et parfois de honte. ? Problématique qui n'est pas propre aux adolescents handicapés comme le montre les nombreux exemples d'adolescents névrosés et pourtant au corps remplis de sensualité et anatomiquement beaux et sans défauts. Mais cependant  le handicap vient souvent concentrer cette problématique.L'enfant n'est pas alors un enfant qui a un handicap mais bien plutôt un enfant qui est handicapé. Le handicap représente l'enfant pour lui-même et pour les autres dissimulant à ses yeux et aux yeux des autres tous les autres traits de sa personnalité.

 

L'enfant de remplacement

 

Ce travail de questionnement, de déroulement certains le font d'autres s'y refusent. Ils m'arrivent très souvent d'entendre lors de première consultation la personne venue me consulter me dire la phrase suivante : «  docteur je viens vous voir mais je sais pourquoi ça ne va pas et pourtant ça ne change rien et je ne vois pas ce que vous pourriez faire pour moi »

Cette phrase montre que l'événement en question loin d'être la cause du symptôme où de la difficulté n'en est que le voile qu'il s'agit de soulever mais sur lequel bute la pensée et fait que la personne ne peut aller plus loin dans sa recherche d'une vie plus apaisée.

Faire un autre enfant comme les conseils avisés et consolateurs des uns et des autres ne manquent pas d'y inviter les parents, un autre enfant qui lui ne sera pas porteur du même handicap est lui aussi une manière de fuite si rien n'a été vraiment parlé sur la naissance de l'enfant handicapé, naissance qui peut faire écho d'ailleurs à d'autres évènements dramatiques subis par la génération précédente et eux non plus complètement cicatrisés.

 

 

Bien sûr, s'il s'agit d'un problème héréditaire les choses ne sont pas simples et l'angoisse des parents est présente tout au long de la grossesse. Elle va profondément marquer l'accueil de cet enfant dont parfois ne sera souligné de sa personnalité que d'être celui qui n'est pas handicapé. Et celui qui est porteur du handicap de s'interroger lui aussi : est-ce que mon frère où ma sœur sera lui/elle aussi porteur du même handicap ?

 

Mais, combien on peut comprendre alors une fois l'urgence traitée et en apparence dépassé, que chacun ne pense qu'à une chose : tourner la page. Pourtant l'enfant et sa famille ne peuvent tourner cette page. Il s'agit de vivre et surtout d'apprendre de cet enfant qui grandit et a pour destin de devenir un adulte qui restera, quoi qu'il arrive, cet adulte qui est notre enfant.