Propos auto référents de Lacan à propos de son Séminaire Au cours des 25 séances de “d'un Autre à l'autre”

Propos auto référents de Lacan à propos de son Séminaire

Au cours des 25 séances de “d'un Autre à l'autre”

Ainsi tout à l'heure, parmi les personnes qui pourraient ici s'instruire, il y en a une qui, au lieu de se décrasser de son bafouillage, est sortie, parce qu'il trouve sans doute que je dis des banalités. Faut croire qu'elles sont nécessaires à dire, sans ça, pourquoi m'en donnerais-je la peine ? En tout cas, après ce que je viens de dire sur la nécessité qu'un discours ait des conséquences ou pas, le mien a eu pour conséquence cette sortie qui est signalétique !

(séance 2 du 20. XI)

Il y a plus de dix ans que je l'ai construit devant un auditoire d'ânes - ils n'ont pas encore trouvé où était le "je" sur ce graphe. Alors, il faudra bien que je leur explique ; et pour cela, il faut que je prépare. Nous labourons. C'est du travail. Espérons qu'avant la fin je pourrai vous dire comment le travail de l'enseignant se situe pour nous au niveau de ce discours.

(idem plus bas)

À ce propos, seule ma traductrice italienne dont je n'offenserai pas la modestie du fait de son absence, s'est fort bien aperçue de l'identité de cette fonction de la plus-value et de l'objet a ; qu'il n'y ait pas plus de personnes à l'avoir énoncé, là est l'étrange ; encore qu'à saisir sur le vif, comme c'est mon destin de le faire, la difficulté du progrès de ce discours analytique, la résistance qui s'accroît, à mesure même qu'il se poursuit, cet étrange assurément se tempère.

Mais puisque j'ai là un témoignage qui prend sa valeur de venir de quelqu'un qui est d'une génération des plus jeunes, n'est-il pas singulier que rien de ce que j'ai rencontré dans le temps comme difficultés à faire entendre ce discours, ne se produit plus, tout au moins à la même place, là où j'ai affaire à quiconque, je dis même n'étant point psychanalyste, approche seulement les problèmes du savoir sous leur angle le plus moderne, et avec quelque ouverture sur le domaine de la logique ?

C'est sans doute par un effet que je ne désignerai pas pour être celui de mon discours, mais pour être celui du progrès qui s'engendre de ce que j'ai appelé l'absolutisation du marché du savoir, que je puis fréquemment toucher combien plus aisé, dans la génération qui vient, est mon échange avec ceux qui, disons, ont en moyenne vingt-quatre ans.

Aussi bien, puisque c'est au niveau de cette génération qu'on se met à étudier mes Écrits, ou même à les soumettre à l'épreuve d'une transmission universitaire, sous forme de diplômes ou de thèses, j'ai pu récemment, et non pas pour en être surpris, constater la difficulté qu'ont ces jeunes auteurs à extraire de ces écrits une formule qui soit recevable et classable dans ce qu'on leur offre comme tiroir.

Assurément, ce qui leur échappe le plus, c'est ce qui fait le poids et l'essentiel de ce qui est là-dedans susceptible de retenir ces lecteurs que je suis toujours si étonné de savoir si nombreux, à savoir : la dimension du travail qui précisément s'y représente. Je veux dire que chacun de ces écrits représente quelque chose que j'ai eu à déplacer, à pousser, à charrier dans l'ordre de cette dimension de résistance qui n'est point d'ordre individuel.

À vrai dire, au temps où je commençais de parler, la résistance se manifestait dans des générations qui se recrutaient déjà à un niveau plus âgé, et qui se trouvaient formées de toutes les façons sous un mode tel que rien en soi n'était plus difficile que de les situer au niveau de cette expérience annonciatrice dénonciatrice qu'est la psychanalyse.

C'est bien pour cela que ce que j'essaie d'articuler à présent, je le fais dans l'espoir que quelque chose se conjoigne entre ce qui m'est offert dans l'attention des générations plus jeunes et ce qui effectivement se présente comme un discours. Néanmoins il ne faut d'aucune façon s'attendre à ce que mon discours puisse se faire profession articulée d'une position de distance à l'endroit de ce qui s'opère vraiment dans ce progrès du discours analytique.

Ce que j'énonce du sujet comme effet, lui-même, du discours, rend absolument exclu que le mien se fasse système, alors que ce qui en fait la difficulté, c'est d'indiquer, par son procès même, comment ce discours est lui-même commandé par une subordination du sujet, du sujet psychanalytique dont je me fais ici le support, par rapport à ce qui le commande et qui tient à tout le savoir.

(Séance 3 du 27. XI)

Ce discours, j'ai essayé de le situer, de le construire dans sa relation fondamentale au savoir, au moyen de quelque chose que ceux qui ont ouvert mon livre ont pu trouver dessiné sous le nom de graphe. Il y a dix ans déjà que cette opération a abouti à sa venue au jour, puisque c'est nommément dans le séminaire de 1957-58 sur "Les formations de l'inconscient", et pour bien marquer les choses, dans un commentaire du "witz", comme Freud s'exprime, que cette construction a commencé.

À la vérité, pour reprendre ici les choses au point où je les ai laissées la dernière fois, ce n'est pas à ce discours lui-même que je me suis reporté, mais à quelque chose qui, sans être parfait ni même témoigner de négligence singulière, a la portée d'avoir été imprimé dans le Bulletin psychologique, de telle sorte que vous pourrez vous y reporter, sans avoir à recourir à des notes non publiées.

On peut voir dans ce résumé que, dès cette époque, combien préhistorique par rapport à l'émergence comme telle de l'objet a (celui-ci n'était encore désigné à ce niveau, dans la suite de ce que j'avais fait l'année précédente sur la relation d'objet - mais bel et bien préfiguré pour quiconque a entendu la suite - que dans la fonction de "l'objet métonymique"), se trouve un premier dessin qui se présentait ainsi :

À ce détail près que c'est d'ici, en o que part cette ligne, pour aboutir ici en o', le témoignage de l'auteur du résumé garde son intérêt. Depuis, la chose est devenue banale.

(Séance 3, plus bas)

(…)Je lis sous la plume du scribe d'alors qui, malgré ses négligences, n'en a pas moins retenu ce qui est essentiel : "Notre schéma représente, non le signifiant et le signifié, mais deux états du signifiant le circuit qu'il désigne d A y d' représente la chaîne du signifiant, en tant qu'elle reste perméable aux effets de la métaphore et de la métonymie ; c'est pourquoi, nous la tenons pour constituée au niveau des phonèmes.

La deuxième ligne (celle du vecteur de la rétroaction) représente le cercle du discours, discours commun constitué par des sémantèmes qui, bien entendu, ne correspondent pas de façon univoque à du signifié, mais sont définis par un emploi."

(sééance 3, plus bas)

J'ai lu récemment quelque part, en un point idéal qui restera d'ailleurs dans son coin, si je puis dire, le terme de "subversion du savoir" ; et ce terme était là, mon Dieu, plus ou moins avancé sous mon patronage. Je le regrette. Car à la vérité, je n'ai absolument rien avancé de tel.

Et de tels glissements, qui sont regrettables, ne peuvent entrer que dans cette sorte d'usage de pacotille qu'on pourrait faire de morceaux, même pas bien détachés, de mon discours, de revissages de termes que mon discours, précisément, n'a jamais songé à rapprocher, et cela pour les faire fonctionner sur un marché qui ne serait pas du tout heureux, s'il prenait la tournure de faire usage de colonisation universitaire.

Pourquoi le savoir serait-il subverti de ne pouvoir être absolu ? Cette prétention, où qu'elle se montre, où qu'elle se soit montrée, il faut bien le dire, a toujours été risible. Et avec ce mot nous sommes à nouveau au vif de notre sujet, auquel nous avons fait prendre un redépart dans le mot d'esprit, en tant qu'il provoque le rire. Ce qui est risible justement dans le mot d'esprit, c'est qu'il est proprement accroché sur la faille inhérente au savoir.

(Séance 4 du 3. XII. 68)

La question est soulevée dans un recueil qui vient de paraître ("Qu'est-ce que le structuralisme"), que nous devons aux rappels battus auprès de certains par notre ami François Wahl. Je vous conseille de ne pas le manquer ; il met un certain nombre de questions au point. Et assurément, il est important de marquer notre distinction par rapport à la métaphysique. Mais à la vérité, il n'est pas inutile d'énoncer qu'il ne faut pas trop croire à ce qui s'affiche comme désillusion. La désillusion de l'esprit n'est pas complet triomphe.

Elle se soutient ailleurs, dans cette superstition qui désignerait dans une idéalité de la matière, cette substance même impassible qu'on appelle "l'esprit". Et nous l'appelons "superstition", parce qu'après tout on peut bien en faire la généalogie. Il y a une tradition, la tradition juive, curieusement, où l'on peut bien mettre en relief ce qu'une certaine transcendance de la matière peut lui devoir dans ce qui s'énonce tout à fait en clair dans les Écritures, mais singulièrement inaperçu, concernant la corporalité de Dieu.

Ce sont des choses sur lesquelles nous ne pouvons pas aujourd'hui nous étendre ; c'était un chapitre de mon séminaire sur le "Nom-du-père", sur lequel j'ai fait une croix, c'est le cas de le dire. Mais enfin, cette superstition dite "matérialiste" (on a beau ajouter "vulgaire", cela ne change rien du tout), mérite bien la cote d'amour dont elle bénéficie auprès de tous, en ce qu'elle est bien ce qu'il y a eu de plus tolérant jusqu'à présent à la pensée scientifique.

(Séminaire 4, plus bas)

Épinglons au passage quelque chose de ce que j'appellerai l"'infatuation phénoménologique" ; il s'agit d'un de ces menus monuments qui s'étalent dans un champ où les énoncés prennent volontiers patente de l'ignorance. "Essence de la manifestation", tel est le titre d'un livre - je n'ai point raison d'en dire l'auteur puisque je le qualifie de fat -, combien favorablement accueilli dans le champ universitaire, et dont l'auteur manifeste en tout cas son essence à lui par la puissance avec laquelle à telle page est articulé que, si quelque chose nous est donné comme certitude, c'est que la souffrance, elle, n'est rien d'autre que la souffrance. Et en effet, cela vous fait toujours quelque chose, quand on vous dit cela. Il suffit d'avoir eu un mal de dents et de n'avoir jamais lu Freud, pour trouver cela assez convaincant.

Mais l'on peut aussi bien penser - mais là vraiment je crois que je suis moi aussi un peu traditionnel - qu'il y a de quoi rendre grâce à de tels pas de clercs, c'est le cas de le dire, de promouvoir l'à-ne-pas-dire, pour que l'on puisse bien marquer la différence avec ce qu'il y a à dire vraiment. C'est un petit peu trop de justification donnée à l'erreur ; je signale au passage que je n'y adhère pas entièrement. Mais il faudrait ici que je rétablisse ce dont il s'agit, dans une apologie des sophistes ; et Dieu sait où cela nous entraînerait.

(Séance 4, plus bas)

La vérité, donc, parle essentiellement ; elle parle-"je". Et vous voyez là définis deux champs-limites : celui où le sujet ne se repère que d'être effet du signifiant, à savoir celui où il y a pathos du signifiant (et aucun arrimage n'en a encore été fait dans notre discours au sujet), bref, le champ du fait, et puis, ce qui enfin nous intéresse, et qui n'a même pas été effleuré ailleurs que sur le Sinaï, à savoir : ce qui parle-je.

Sur le Sinaï ? Je m'excuse, il vient de me sortir d'entre les jambes ; je ne voulais me ruer sur le Sinaï, mais puisqu'il vient de sortir, il faut bien que je justifie pourquoi. Il y a un bout de temps, et tout autour de cette faine de mon discours qui s'appelait le "nom-du-père", que j'ai commencé d'interroger la traduction d'un certain "ege acher ege", ce que les métaphysiciens ont traduit : "je suis celui qui est" ; bien sûr, il leur fallait de l'être.

Seulement ce n'est pas ce que cela veut dire. Alors, il y a des moyens termes ; je parle de gens qui disent :"je suis celui qui suis", qui ne veut rien dire et qui a la bénédiction romaine. J'ai fait observer qu'il fallait entendre :" je suis ce que je suis". En effet, cela a tout au moins une valeur de coup-de-poing dans la figure." Vous me demandez mon nom ? Je réponds :"je suis ce que je suis, et allez vous faire foutre !” C'est bien ce que fait le peuple juif depuis ce temps.

Puisque le Sinaï m'est là ressorti à propos de la vérité qui "parle-je", c'est que j'ai déjà pensé à la question ; je ne croyais pas vous en parler aujourd'hui, mais enfin, puisque c'est fait, allons-y. Je crois qu'il faut traduire :" Je suis ce que je est".

C'est donc pour vous illustrer ce qu'il en est du "je", en tant que la vérité “parle-je", que le Sinaï m'est ressorti comme cela. Naturellement, le bruit va se répandre, dans le Paris des petits cafés, que, comme Pascal, j'ai choisi le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Que les âmes, de quelque côté qu'elles soient portées à accueillir cette nouvelle, remettent leur mouvement dans le tiroir. La vérité parle-je, mais la réciproque n'est pas vraie. Tout ce qui parle-je n'est pas la vérité. Où irions-nous sans cela ?

Et ces propos ne sont pas complètement superflus, parce qu'entendez bien qu'en mettant en question la fonction de l'Autre, et sur le principe de sa topologie même, ce que j'ébranle - et ce n'est pas une trop grande prétention -, c'est vraiment la question à l'ordre du jour, c'est proprement ce que Pascal appelait :" le Dieu des philosophes".

Or, cela, le mettre en question, ça n'est pas rien, parce que tout de même, jusqu'à présent, il a la vie dure, et sous le mode où tout à l'heure j'y ai fait allusion ; mais aussi il reste tout de même bien présent à un tas de modes de transmission de ce savoir que je vous dis qu'il n'est pas du tout subverti, même et bien plus encore à mettre en question cet Autre censé pouvoir le totaliser. C'était le sens de ce que j'ai apporté la dernière fois.

(Séance 4, plus bas)

À part moi, je note quelquefois des petites adresses à votre intention ; au moment de brasser ces papiers j'en retrouve une qui va me fournir mon entrée :', Qu'il est regrettable, écrivais-je, je ne sais plus quand, que Dieu serve à écarter, par ce que nous appellerons la proscription de son nom, (ça a pris forme d'un interdit, précisément sans doute là où on pouvait savoir le mieux ce qu'il en est de la fonction du terme de "Dieu", à savoir chez les juifs), que cette proscription, donc, serve à écarter un certain nombre de références essentielles au maintien du Je dans une lumière suffisante, et suffisante pour qu'on ne puisse pas le jeter (il y a "je" là-dedans), le jeter aux chiens, c'est-à-dire aux professeurs."

C'est ce dont je suis parti la dernière fois, pour, en somme presque malgré moi, pousser en avant cette référence" je", par l'intermédiaire du Dieu en question, lorsque j'ai retraduit ce qui fut proféré un jour sous la forme"Eye asher eye", par "je suis ce que Je est".

Je vous ai dit alors avoir été moi-même quelque peu débordé par l'avance de cette énonciation, que j'ai justifiée comme traduction, ou crois avoir justifiée. Mais j'ai dit qu'après tout, là, le Sinaï m'avait émergé, malgré moi, du sol entre les jambes. Or cette fois-ci, je n'ai pas reçu de petit papier - je l'attendais pourtant - où quelqu'un me ferait remarquer que ces paroles sont sorties du buisson ardent. Vous voyez ce que ça aurait fait, si je vous avais dit que le buisson ardent m'était sorti entre les jambes. C'est bien en cela que la phrase se donne à elle-même des ordres, rétroactivement.

D'autant plus qu'après tout, sur le Sinaï, il ne s'agit de rien d'autre que des suites de la chose en question, à savoir que celui qui s'est annoncé, à mon dire tout au moins, comme “je suis ce que Je est", celui-là, comme je l'ai déjà fait remarquer dans mon Séminaire sur l'Ethique, n'a fait qu'énoncer, sous la forme de ce qui, depuis, se transmet dans l'impératif de la liste des dix commandements, dits de Dieu, - n'a fait, je l'ai expliqué il y a bien longtemps, qu'énoncer les lois du "je parle".

(Séance 5 du 10.XII.68)

Je vous souhaite la bonne année. 69, un bon chiffre. Pour l'ouvrir, je vous signale qu'à telle occasion, je reçois toujours de quelque horizon un petit cadeau. A cette occasion-ci, c'est un petit article, paru dans le numéro du l'janvier de la NRF, et qui s'intitule : "Quelques extraits du style de Jacques Lacan".

En effet mon style, c'est un problème ! Ce par quoi j'aurais pu commencer mes Écrits, c'est par un très vieil article que je n'ai jamais relu, consacré justement au problème du style. Peut-être que si je le relis, ça m'éclairera. En attendant, bien sûr, je suis le dernier à pouvoir en rendre compte ; et on ne voit pas pourquoi quelqu'un d*autre ne s'y essayerait pas.

C'est ce qui s'est produit, tombant de la plume d'un professeur de linguistique. Je n'ai pas à apprécier personnellement le résultat de ses efforts. Je vous en fais juge. En gros, j'ai plutôt eu l'écho que, dans le contexte actuel, et vu la qualité générale de ce qui se dispense d'enseignement de la bouche des professeurs, on pense dans quelques endroits retirés que-ce n'était peut-être pas le moment de publier cela ni le moment le plus opportun, parce qu'il m'est revenu que de certains n'ont pas trouvé ça très fort.

Quant à moi, je ne m'en plains pas ! Je vois mal comment quelqu'un pourrait y prendre la moindre idée de ce que j'ai répandu comme enseignement. Néanmoins, il y a une pointe : j'aurais osé, paraît-il, écrire quelque part : Freud et moi". Vous voyez ça, hein ! Il ne se prend pas pour la queue d'une poire !

Ça n'a peut-être pas tout à fait le sens que croit devoir lui donner l'indignation d'un auteur; mais ça montre bien dans quel champ de révérence, au moins dans certains domaines, on vit. Pourquoi, pour cet auteur qui avoue n'avoir pas la moindre idée de ce que Freud a apporté, y a-t-il quelque chose de scandaleux de la part de quelqu'un qui a passé sa vie à s'en occuper, à dire : "Freud et moi" ?

Je dirais plus : à retentir moi-même de cet attentat au degré du respect qui me serait là reproché, je n'ai pu faire autrement que de me souvenir de l'anecdote que j'ai citée ici du temps où, en compagnie de petit Louis, comme je l'évoquais, je me livrais aux menues industries qui font vivre les populations côtières. Or il m'est arrivé d'avoir avec le petit Louis le dialogue suivant.

C'était à propos d'une boite de sardines que nous venions de consommer, et qui flottait aux abords du bateau. Petit Louis me dit ces paroles très simples : "Hein, cette boite, tu la vois, parce que tu la regardes. Ben, elle, elle n'a pas besoin de te voir pour te regarder.- Le rapport de cette anecdote avec "Freud et moi" laisse ouverte la question d'où je me place dans ce couple.

Rassurez-vous : je me tiens toujours à la même place, où j'étais et où je reste ; encore vivant. Freud n'a pas besoin de me voir pour me regarder. Autrement dit, comme l'énonce un texte que j'ai déjà cité, un chien vivant vaut mieux que le discours d'un mort, surtout quand celui-ci en est venu au degré qu'il a atteint de pourriture internationale.

Ce que j'essaye de faire, c'est de rendre aux termes freudiens leur fonction ; ce dont il s'agit, c'est d'un renversement des principes mêmes du questionnement. Autrement dit (ce qui ne veut pas dire : "dit la même chose"), ce qui y est engagé, c'est l'exigence minimale du passage à ce questionnement renouvelé , et l'exigence minimale est celle-ci : faire des psychanalystes.

Car ce questionnement, pour se poser, exige un replacement du sujet dans cette position qui est la sienne : celle qui le met d'origine dans la dépendance du signifiant. C'est autour de cette exigence qui est une condition fondamentale, que s'ordonne tout ce qui s'est affirmé de recevable jusqu'ici, dont il y avait des éléments dans la première pratique de l'analyse, où l'on a assurément tenu compte des jeux de mots et des jeux de langage, et pour cause.

Ce niveau-là, je l'ai simplement repris, et, dirai-je, légalisé, en m'emparant de ce que fournissait la linguistique s'édifiant sur cette base qui s'appelle "phonologie". Car, avec ce dégagement du jeu du phonème comme tel, il s'imposait de s'apercevoir que ce que Freud avait frayé trouvait là tout simplement son statut, avec quelque retard certes, mais évidemment moins de retard que le publiec en général ne pouvait avoir, et du même coup les psychanalystes.

(Séance 6 du 8.I.69)

Je ne peux pas réénoncer ce pari, parce que, comme je vous l'ai déjà dit, ce n'est pas à proprement parler un énoncé qui se tient , c'est même ce qui a étonné les gens : que quelqu'un dont on a l'assurance qu'il était capable de quelque rigueur, ait proposé quelque chose d'aussi intenable, ce qui motive l'usage que nous allons en faire.

Ce n'est pas la première fois, d'ailleurs, que j'en parle. Un certain jour de février 1966, je crois, j'ai déjà amené ce pari, et très précisément à propos de l'objet a, autour duquel vous verrez que nous allons aujourd'hui rester.

Il s'est trouvé qu'on m'avait demandé d'aller en reparler en octobre 1967 à Yale : et j'ai eu si fort à faire avec des gens qui motivent cet effort d'enseignement, à savoir : les psychanalystes, que j'ai manqué de parole à ces gens de Yale ; je n'ai su que bien après que cela avait fait une manière de petit scandale ; c'est vrai, ce n'était pas très poli.

Nous allons tâcher aujourd'hui de dire ce que j'aurais pu énoncer là-bas, sans qu'il y ait d'ailleurs plus de préparation pour l'entendre.

(Séance 7 du 15.I.69)

Nous connaissons ça, nous analystes; nous le retrouvons dans la forme la plus subtile, la plus caractéristique, que nous ayons donnée de la fonction cause du désir, c'est ce qui s'appelle la jouissance masochiste. C'est une jouissance analogique, c'est-à dire qu'au niveau du plus-de-jouir où il se situe, le sujet prend de façon qualifiée cette position de perte, de déchet, qui est représentée par a, tout son effort étant de constituer l'Autre comme champ seulement articulé sous le mode de cette loi, de ce contrat, sur lequel notre ami Deleuze a mis si heureusement l'accent, pour suppléer à l'imbécillité frémissante qui règne dans le champ de la psychanalyse.

C'est d'une façon analogique, et en jouant sur la proportion, que se dérobe ce qui s'approche de la jouissance par la voie du plus -de-jouir. Arrivés en ce point, nous voyons qu'à accrocher les choses par la voie de départ que nous avons prise, nous trouvons ici une entrée dont se motive l'expérience.

La question sans doute n'est pas sans intérêt, étant donné la façon dont fonctionne chez Pascal une certaine renonciation. Mais n'allez pas trop vite. Traiter d'universellement masochistes ceux qui se sont débattus, sans le savoir, avec cette logique, c'est faire cet ordre de court-circuit où se désigne ce que j'ai appelé dans ce champ la canaillerie qui tourne en sottise.

(Séance 8 du 22.I.69)

Je voulais vous laisser sur cette approche que j'appelle de pure consistance logique. Cela nous permettra de mieux situer ce qu'il en est d'un certain nombre d'activités humaines, celles des mystiques, entre autres, qui ont tenté par leur voie d'aborder ce rapport de la jouissance à l'un.

J'ai déjà parlé dans les temps obscurs de mon séminaire, d'Angelus Silesius qui est le contemporain de Pascal ; j'ai déjà produit devant ceux qui étaient là, trois ou quatre, Le pèlerin chérubinique. Je vous le recommande, (chez Aubier, il n'est pas épuisé) , essayez d'expliquer ce que veulent dire ces distiques.

Ce qu'il en est certes ne concerne pas directement la voie qui est la nôtre. Mais si vous voyez la place qu'y tient le "je", le "Ich", vous verrez qu'elle se rapporte à la question qui est ici notre véritable visée, et que je répète à ce terme d'aujourd'hui : est-ce que j'existe ?

(Séance 8, in fine)

Je vais repartir d'où je vous ai laissés la dernière fois. J'ai dit beaucoup de choses la dernière fois ; et en particulier, j'ai réussi à toucher certains par l'évidence mathématique que je crois avoir réussi à donner à cette genèse, par la seule vertu du Un en tant que marque, de ce qu'il en est du a.

Cela repose sur ce factum, sur cette fabrication qui résulte de l'usage le plus simple de ce Un, en tant qu'une fois répété, il foisonne, puisque déjà il n'est posé que pour tenter la répétition qui permet de retrouver la jouissance, en tant qu'elle a déjà fui. Le premier Un, pour retrouver ce qui n*était pas marqué d'origine, déjà I*altère, puisqu'à l'origine, il n'était pas marqué.

Il se pose donc déjà dans la fondation d'une différence qu'il ne constitue pas en tant que telle, mais en tant qu'il la produit. C'est ce point originel qui fait de la répétition la clé d'un processus qui, une fois ouvert, fait que la question se pose s'il peut ou non trouver son terme.

Cette question n'est terminale, nous sommes tout de suite portés à le penser, qu'à la prendre dans une seule carrière : celle de Freud, en tant que sujet. Il fut aussi certes un homme d'action, disons : un homme qui a inauguré une voie; comment s'y est-il pris ? C'est ce qu'il conviendra peut-être à un détour de ce que je vous dirai aujourd'hui de rappeler.

Mais toute carrière d'homme engage quelque chose qui a dans la mort sa limite , et c'est seulement de ce point de vue que nous pouvons, du chemin tracé par Freud, trouver le terme, dans la question qu'il se pose en fin d'”Analyse terminable ou interminable”. Ce qui ne fait que marquer le temps de la question que je rouvre en disant : est-ce que ce qui s'engage pour le sujet, du fait de la répétition comme origine, est lui-même un processus qui a sa limite, ou pas ?

C'est ce que j'ai laissé ouvert, suspendu, mais pourtant avancé, en démontrant au tableau la dernière fois de la façon la plus claire ce que j'ai pu exprimer comme la division, la bipartition de deux infinis, marquant que c'est de cela qu'il est au fond question dans le pari de Pascal.

(Séance 10 du 8.II.69)

Je peux renverser celle-ci, bien sûr ; et foutre en l'air les tables à Vincennes, et ailleurs. Mais cela n'empêche que la vraie table, la table de jeu, est toujours là. Il ne s'agit pas de la table universitaire, la table autour de laquelle le patron se réunit, où que ce soit, avec 'les élèves, dans un joli petit intérieur, que cet intérieur soit le sien, ou celui dont on l'encadre dans les garderies modèles.

C'est précisément là qu'est la question , et c'est pour ça que je me suis permis dans un griffonnage dont je ne sais si vous le verrez paraître ou pas, - d'ailleurs ce n'est pas du tout un griffonnage , j'y ai passé du temps, avant-hier ; il ne paraîtra qu'à un seul endroit, ou il ne paraîtra pas, et je m'intéresse au fait de savoir s'il paraîtra ou ne paraîtra pas - bref, j'ai été jusqu'à cette exorbitance délirante -, car, depuis un petit temps, je délire à part moi ; ces choses-là sortent toujours un jour, sous une forme ou sous une autre.

(Séance 10, plus bas)

C'est que j'aimerais qu'on s'aperçoive - c'est mon délire ou pas! - qu'il n'est plus possible de jouer le rôle qui convient à la transmission du savoir (qui n'est pas la transmission d'une valeur, encore que maintenant cela s'inscrive sur des registres d'”unités de valeur”, mais de saisir ce qu'on peut appeler un "effet de formation".

Aussi, et quel qu'il soit, celui qui dans l'avenir, justement parce qu'il est arrivé quelque chose à cette valeur du savoir, voudra occuper une place d'aucune façon afférente à cet effet de formation, même si c'est les mathématiques, la biochimie, ou n'importe quoi d'autre, fera bien d'être psychanalyste, si c'est ainsi qu'il faut définir quelqu'un pour qui existe cette question de la dépendance du sujet par rapport au discours qui le tient, et non pas ce qu'il tient.

(Séance 10, plus bas)

Ici, à propos de cette liaison (a,- ∞), je regrette de n'en être pas plus loin. Dans les dernières minutes de la dernière fois, j'ai déjà articulé, mais trop vite, j'ai déjà rappelé qu'à partir de la figure qui s'indique ainsi dans le griffonnage de Pascal, nous disons que, dans cette liaison du a au - ∞, c'est de l'enfer qu'il s'agit.

Je l'ai claironné à des gens qui déjà un petit peu se dirigeaient vers la sortie. Mais, dans l'ensemble, je vous ai fait remarquer que l'enfer, ça nous connaît, c'est la vie de tous les jours. Chose curieuse, on le sait, on le dit, on ne dit que ça. Mais ça se limite au discours, et à quelques symptômes, bien entendu.

Dieu merci ! S'il n'y avait pas les symptômes, on ne s'en apercevrait pas. Si les symptômes névrotiques n'existaient pas, il n'y aurait pas eu Freud. Si les hystériques n*avaient pas frayé la question, aucune chance que la vérité pointe le bout de l'oreille.

Mais il me faut faire, encore une petite station. Quelqu'un que je remercie parce qu'il faut toujours remercier les personnes par où vous arrivent les cadeaux - m'a, pour des raisons externes, rappelé l'existence du chapitre de Bergler qui s'appelle :"Le surmoi sous-estimé". C'est dans la fameuse Névrose de base qui explique tout.

Vous n'allez pas me dire que, moi, j'explique tout. Je n'explique rien, justement. C'est même ce qui vous intéresse. Jessaie à divers niveaux (pas seulement ici) de faire qu'il y ait des psychanalystes qui ne soient pas imbéciles. Mon opération ici est une opération de rabattage, non pas pour attirer dans un trou d'École, mais pour essayer de donner l'équivalent de ce que devraient avoir des psychanalystes, à des gens qui n'ont aucun moyen de l'avoir.

C'est une entreprise désespérée. Mais l'expérience prouve que l'autre aussi, celle de l'apprendre aux psychanalystes eux-mêmes, semble vouée à l'échec, comme je l'ai déjà écrit. Imbéciles ? Comme sujets, s'entend, parce que, pour se démerder dans leur pratique, ils sont plutôt futés !

Et c'est une conséquence précisément de ce que je suis en train d'énoncer ici : c'est conforme à la théorie. C'est ce qui prouve, non seulement qu'il n'y a aucun besoin d'être philosophe, mais que c'est beaucoup mieux de ne pas l'être.

Seulement, ce que ça a comme conséquence, c'est qu'on ne comprend rien. D'où ce que je passe aussi mon temps à énoncer : qu'il vaut beaucoup mieux ne pas comprendre. Seulement l'ennui, c'est qu'ils comprennent de toutes petites choses; alors, ça pullule. Par exemple :" le surmoi sous-estimé".

C'est un chapitre génial. D'abord, parce qu'il rassemble toutes les façons dont le Surmoi a été articulé dans Freud. Comme il n'est pas philosophe, il ne voit pas qu'elles tiennent toutes ensemble. D'ailleurs, il est charmant, et il avoue le truc, (c'est ce qu'il y a de bien chez les psychanalystes : ils avouent tout) il avoue (c'est dans une note) qu'il a écrit à un Monsieur H. H. Heart, qui faisait des extraits de Freud. Alors, il lui a demandé : “Envoyez-moi quelques citations sur le Surmoi”.

Après tout, ça peut se faire, ça. C'est d'ailleurs conforme à la théorie. On peut prendre les choses comme ça, avec une paire de ciseaux, si l'écriture a tellement d'importance. Partout où il y aura "surmoi", on coupe. et l'on fait une liste de 35 citations. Je dois dire que là j'humorise ; mais il me tend la perche ; parce que, bien sûr, Berger a lu Freud; enfin, j'aime à l'imaginer. Mais tout de même, il avoue que, pour écrire ce chapitre, il a écrit à H. H. Heart, pour qu'il lui envoie des citations sur le surmoi.

Le résultat, c'est qu'il peut bien marquer, exactement du même niveau où sont toutes les revues de psychanalyse existantes (sauf la mienne,- bien entendu !), à quel point c'est incohérent. Ça commence par le censeur, au niveau des rêves. (On croit que c'est un innocent, le censeur. Comme si ça n'était rien que d'avoir justement la paire de ciseaux, avec laquelle on fait ensuite la théorie.) Et après ça, ça devient quelque chose qui vous titille. Et puis après, ça devient le grand méchant loup. Et puis après, il n'y en a plus. Et après ça, on évoque Éros, Thanatos, et tout le barda. Et il va falloir que Thanatos se loge là-dedans. Et puis alors, ce surmoi, je m'en arrange. Je te fais des courbettes et des chatouilles. Ah ! cher petit surmoi.

Bon. Grâce à cette présentation, on obtient, bien sûr, quelque chose d'assez risible, il faut bien le dire. Et il faut vraiment qu'on soit à notre époque pour que personne ne rie. Même un professeur de philosophie peut lire ce truc, sans rire. Il faut dire qu'ils en sont à un point à notre génération ! On les a matés !

Il y avait quand même un temps où il y avait des gens qui n'étaient pas spécialement intelligents, quelqu'un qui s'appelait Charles Blondel, par exemple, eh bien, il poussait des hurlements à propos de Freud. Au moins, c'était quelque chose. Maintenant, même les personnes les moins faites pour imaginer ce dont il s'agit dans une psychanalyse, lisent des trucs absolument aussi étourdissants, sans râler. Non : tout est possible, tout est admis. Nous sommes vraiment - et d'ailleurs les choses dessinent toujours leurs linéaments ailleurs que dans le réel, avant d'y descendre - dans le régime de la ségrégation intellectuelle.

Eh bien pourtant, Bergler, il s'est aperçu d'un tas de choses. Quand une chose est là, sous son nez, il la comprend ; et je dirai que c'est ce qu'il y a de triste, parce qu'il la comprend au niveau de son nez qui est forcément pointu. Alors, il voit une toute petite chose.

(Séance 10, plus bas)

Bien ennuyé de tout ce que se passe, hein ? Vous aussi, je pense. On ne peut quand même pas ne pas s'en apercevoir, puisque je suis en train de me demander si je suis ici pour faire ce que je fais d'habitude, ou pour faire de l'occupation.

Enfin ! Des oreilles bienveillantes ont bien voulu entendre que certaines des choses que j'ai avancées, nommément pendant mon avant-dernier séminaire, avaient quelque rapport avec une science, qui sait ? Non pas avec une nouvelle science, mais avec une mise au point de ce qu'il en est des conditions de la science.

Aujourd'hui, je sens -, pour toutes sortes de raisons - ne serait-ce que parce que nous approchons du Mardi Gras ; alors, c'est convenable - que je vais tout doucement infléchir les choses. Je le sens, comme ça, d'après l'équilibre de ce que j'ai cogité ce matin, avant de vous voir ; et que je vais m'infléchir vers quelque chose que vous appellerez comme vous voudrez, mais plutôt d'une note morale.

Il est certain que nous ne pouvons pas méconnaître cette incidence, encore que ce qui m'a inspiré de vous en parler, c'est que le pari de Pascal se tient à un certain joint -, et ça, quand même, je vais le rappeler.

Mais, comme ça, histoire d'introduire un peu les choses, et de détendre - si peu l'atmosphère (je vous ai dit que nous approchions du Mardi Gras), je m'en vais vous lire une lettre que j'ai reçue, je ne vous dirai pas de qui, ni même de quelle ville.

"Cher Monsieur Lacan,

On est étudiants, et on a lu vos Écrits, presque tout. On y trouve pas mal de choses. Évidemment, ça n'est pas toujours d'un abord très aisé ; mais ça mérite quand même nos félicitations... (on ne m'en envoie pas tous les jours autant). On aimerait bien savoir comment il faut faire, pour écrire des choses si difficiles.... (Je ne suis en train de me foutre de personne, et pas de ces gars que je trouve vraiment, - enfin, je vous dirai ce que fen pense. Ils sont deux pour avoir écrit ça.); ça nous servirait pour nos examens. On a bien une licence de philosophie , mais ça devient de plus en plus compliqué de surmonter la sélection. On pense qu'il vaut mieux ruser et étonner les profs, plutôt que de persister dans une forme de discours platement terre à terre... (et ils ajoutent) : "c'est le cas de le dire. Pourriez-vous nous indiquer quelques combines en ce sens ? (moi, ça me frappe, parce que je me dis que, dans le fond, c'est ce. nue, ie suis en train de faire). D'autre oart. on voudrait vous demander encore quelque chose, si ce n'est pas trop oser : est-ce que vous pourriez nous envoyer comme souvenir de vous un de vos jolis nœuds papillon ? Ça nous ferait plaisir. En vous remerciant d'avance, on vous dit "au revoir-, Monsieur Lacan, et veuillez recevoir nos respectueux hommages."

Je ne vais pas laisser traîner ça, parce que....

Ils ne sont pas très à la page , ils ne savent pas que je porte le col roulé, depuis un certain temps. Pour moi, ça fait écho ; ça donne confirmation à quelque chose qui m'émeut, quand j'entends de bonnes âmes moduler, comme ça, depuis le mois de Mai: “Plus jamais comme avant". Je pense que, là où on en est, c'est plus que jamais comme avant.

Et après tout, je suis bien loin de limiter le phénomène à ce petit flash qui éclaire ce qui est un coin de l'affaire. Évidemment, il y a bien d'autres choses en jeu. Seulement, ce qui est frappant, c'est que, d'un certain point de vue, cette lettre à mes yeux peut très bien faire le bilan de la façon dont on m'a écouté, mais dans une zone qui n'est tout de même pas du tout aussi éloignée de moi que cette ville, qui est quand même au-delà d'un très large périmètre.

Comme vous voyez, il ne sont pas très à la page. Mais enfin, je ne vois pas pourquoi on leur en voudrait pour ces nœuds papillon : c'est une face de la façon dont est pris l'enseignement. Il y a quelqu'un qui a joué le rôle de pivot dans une certaine commission d'examen, nous ayant été délégué, dans les temps lointains, par une certaine société britannique, qui avait mis ça comme un point tout à fait digne de tenir la balance avec le reste de mon enseignement. Je veux dire que c'était comme ça : il y avait ça dans un plateau, et dans l'autre, mon nœud papillon, c'est-à- dire, l'identification quétaient censés réaliser à l'aide de cet accessoire ceux qui se présentaient alors comme mes élèves.

Alors, vous voyez que ça ne se limite pas au niveau des chers mignons, des gentils, des naïfs. Ils ne sont d'ailleurs pas si naïfs que ça ; comme ils vous le disent, il faut peut-être "ruser". On va y revenir.

(Séance 11 du 12 février 1969)

Alors, si je reprends les choses à ce point, c'est parce que certains n'ignorent pas - et aux autres, je les en informe ; il serait d'ailleurs facile, s'ils avaient fait comme mes charmants correspondants, s'ils avaient lu de mes Ecrits, "presque tout", qu'ils en soient informés, la fonction à la fois conjointe et disjointe du savoir et de la vérité, tels que je les ai articulés dans une dialectique distinguant, sinon opposant ces termes.

C'est le dernier article que j'ai recueilli. Il a très précisément pour titre "La science et la vérité". Et sur ce qui est de la vérité, chacun sait aussi que, dans un autre de ces articles, qui s'appelle "La chose freudienne", j'ai écrit quelque chose qui pourrait certes s'entendre comme ceci : que sa propriété, c'est qu'elle parle. Nous serions donc - ou plutôt moi dans un certain axe que l'on pourrait dès lors - pourquoi pas ? - qualifier d'obscurantiste, puisqu'il supposerait que je vienne donner un coup d'épaule à l'instigation de Pascal, pour autant qu'il essaie de nous ramener au plan de la religion.

Évidemment, direz-vous, la vérité parle. Mais c'est ce que vous diriez, si vous n'aviez rien compris à ce que je dis - ce qui n'est absolument pas exclu - ; car je n'ai jamais dit cela. J'ai fait dire à la vérité : "Moi, la vérité, je parle", mais nullement : "Moi, la vérité, je parle, (par exemple), pour me dire comme vérité", ni : "pour vous dire la vérité".

Le fait qu'elle parle ne veut pas dire qu'elle dit la vérité. C'est la vérité, elle parle. Quant à ce qu'elle dit, c'est vous qui avez à vous débrouiller avec. Ça peut vouloir dire "je parle à tort et à. travers". Et vous allez dire : c'est ce que certains font. "Cause toujours, c'est tout ce que tu sais faire."

La vérité, je lui ai accordé, si fose dire, un peu plus. Je lui ai, depuis, accordé qu'elle cause, en effet, et pas simplement dans le sens auquel répond le "cause toujours". (En cet autre sens)1 , elle cause même à tour de bras. Je veux dire que, dans ce même article, j'ai rappelé le mot de Lénine sur la théorie marxiste du social, suivant lequel"elle triomphera, parce qu'elle est vraie". (mais pas forcément, parce qu'elle dit la vérité. Ça s'applique (là aussi).

Naturellement, je ne vais pas m'appesantir. Car il se dit qu'on cite mon nom avec avantage dans l'Humanité - je n'ai pas été y regarder, je dois dire, parce que je n'ai pas eu le temps -, parce que, soi-disant, j'aurais commencé cette année, comme ça, en sentant venir le vent, à faire une médiation entre Marx et Freud. Dieu merci, comme j'étais grippé le dernier week-end, ça m'a donné tout d'un coup une stimulation pour ce qu'on appelle le travail, c'est-à-dire, le remue-ménage. Je me suis mis à rebrasser l'effroyable quantité de papier à la destruction de laquelle il faudra que je veille, pour le moment où je disparaîtrai, parce que Dieu sait ce qu'on en ferait autrement.

Je me suis aperçu que j'ai parlé de Marx, de la valeur d'usage, de la valeur d'échange, de la plus-value. Je me suis aperçu, pour tout dire, que ma traductrice italienne, que j'ai montée en épingle, quand j'ai sauté le pas pour faire cette sorte d'analogie entre la plus-value et le plus-de-jouir, n'a eu aucun mérite, en somme, à me dire que l'objet a, c'est la plus-value, parce que j'ai tellement parlé de Marx, à propos d'un certain nombre d'articulations fondamentales autour de ce dont il s'agit dans la psychanalyse, que je me demande ce que j'ai apporté de nouveau, sauf ce nom de "Mehrlust" (plus-de-jouir), forgé analogiquement au "Mehrwert" (plus-value), pour indiquer d'ailleurs aussi bien qu'il ne se développe absolument pas sur le même plan.

Mais puisque nous en sommes à l'évocation de Lénine, il n'est pas plus mauvais de rappeler que ce dont il s'agit à propos de la théorie marxiste, pour autant qu'elle concerne une vérité, c'est qu'elle énonce, en effet, que la vérité du capitalisme, c'est le prolétariat. C'est vrai, seulement, c'est de cela même que ressort la suite et la portée de nos remarques sur ce qu'il en est de la fonction de la vérité.

Car la conséquence révolutionnaire de cette vérité, et de cette vérité dont part la théorie marxiste, elle va, bien sûr, un peu plus loin, puisque ce dont elle fait la théorie, c'est le capitalisme, si bien que la conséquence révolutionnaire de la théorie devient que le prolétariat, c'est la vérité du capitalisme.

Le prolétariat, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le travail est radicalisé au niveau de la marchandise pure et simple, ce qui veut dire que ça réduit au même taux le travailleur lui-même. Seulement, dès que le travailleur, du fait de la théorie, apprend à se savoir comme tel, on peut dire que par ce pas, il trouve les voies d'un statut - appelez ça comme vous voudrez - de savant. Il n'est plus prolétaire, si je puis dire, "an sich” il n'est plus simple vérité ; il est “für sich", il est ce qu'on appelle "conscience de classe".

Et i1 peut du même coup devenir la conscience de classe du parti où on ne dit plus jamais la vérité. Je ne suis pas en train de faire de la satire. Je ne suis en train de rappeler que des évidences - c'est en ça que c'est soulageant - qui ne relèvent nullement du scandale qu'on en fait, quand on ne comprend rien à rien. Si on a une théorie correcte du savoir et de la vérité, il n'y a rien de plus facile à entendre ; en particulier, on ne voit pas pourquoi on s'étonnerait que ce soit du rapport le plus léniniennement défini à la vérité, que découle toute cette lénification où baigne l'appareil.

Si vous mettiez dans la boule qu'il n'y a rien de plus lénifiant que les durs, vous rappelleriez, comme ça, une vérité déjà connue depuis longtemps. Et puis vraiment, - ça du moins on le sait depuis longtemps, depuis toujours -, si on n'était pas depuis quelque temps - et je vous dirai pourquoi - si persuadé que le christianisme, ce n'est pas la vérité, on aurait pu se rappeler tout de même que pendant un certain temps, et qui n'est pas mince, il l'a été, et que ce dont il a donné la preuve, Cest qu'autour de toute vérité qui prétend parler comme telle, un clergé prospère qui est obligatoirement menteur.

Alors, je me demande pourquoi on tombe de son haut, à propos du fonctionnement des gouvernements socialistes. Irai-je à dire que la perle du mensonge est la sécrétion de la vérité ? Ça assainirait un peu l'atmosphère, atmosphère qui n'existe d'ailleurs que du fait d'un certain type de crétinisation dont il faut bien que je dise le nom tout de suite, puisqu'au terme de ce que nous aurons à énoncer aujourd'hui, faurai à le re-épingler quelque part dans un clé ces petits carrés : Cest ce qu'on appelle le "progressisme".

J'essaierai, bien sûr, de vous donner une meilleure définition que cette référence à des effets clé scandale, je veux dire à cet effet qui consiste à produire des âmes scandalisées. Ces choses devraient être aérées depuis quelque temps par la lecture de Hegel, (à ce qu'il intitule) : 1a loi du cœur et le délire de la presomption". Mais, à la façon de toutes les choses un peu rigoureuses, quand elles sortent, personne ne songe a s'en ressouvenir au moment qui convient.

C'est pourquoi, j'ai mis en exergue au début de mon discours de cette année, quelque chose qui veut dire que ce que je préfère, c'est un discours sans paroles. Alors ce qui pourrait être ici en question, si on voulait, comme on dit, lécher le plat au point où nous pouvons en profiter, en y mettant le petit doigt, c'est de s'apercevoir que ces choses n'ont pas de si mauvais effets que ça, puisque, quand je dis que le service au champ de la vérité - service qu»on ne demande à personne : il faut avoir la "vocation- - entraîne nécessairement au mensonge, je veux aussi faire remarquer ceci, parce qu'il faut être juste, c'est que ça fait énormément travailler.

Moi, j'adore ça, quand c'est les autres, bien entendu, qui travaillent. C'est pour ça que je me régale de la lecture de bon nombre d'auteurs ecclésiastiques, chez lesquels j'admire ce qu'il leur a fallu de patience et d'érudition, pour charrier tant de citations qui me viennent au point juste où ça me sert à quelque chose.

Il en est de même pour les auteurs de l'Église communiste. Ils sont aussi d'excellents travailleurs. J'ai beau, comme ça, pour certains, dans la vie courante, ne pas pouvoir les supporter plus que dans les contacts personnels avec les curés, ça n'empêche pas qu'ils sont capables de faire de très beaux travaux, et que je me régale, quand je lis un certain d'entre eux sur "le Dieu caché", par exemple. Ça ne me rend pas l'auteur plus fréquentable.

(Séance 11, plus bas)

Il est en général reçu (j'entends : chez les athées) que l'être suprême a un sens. Voltaire, qui passe généralement pour un petit malin, y tenait dur comme fer. (À cet égard,)2 il (dé)3considérait Diderot qui avait une nette avance, une bonne longueur sur lui, ce qui se voit dans tout ce qu'il a écrit.

C'est probablement aussi pour ça que tout ce que Diderot a écrit de vraiment important n'a paru que posthume, et puis qu'au total, ça en fait beaucoup moins gros que dans le cas de Voltaire. Diderot, lui, avait déjà entrevu que la question est celle du manque quelque part, en tant que le nommer, c'est très précisément y fourrer un bouchon, et rien de plus.

Il n'en reste pas moins qu'au niveau de Pascal, nous sommes au point du joint, au point du saut, là où quelqu'un ose dire ce qui a été là depuis toujours. (C'est comme tout à l'heure, c'est plus que jamais comme avant. Seulement, il y a un moment où ça se sépare, et où ça doit se savoir). Et celui-là, il dit: le "Dieu d'Abraham, d'ïsaac et de Jacob", ça n'a rien à faire avec le Dieu des philosophes et des savants". Autrement dit, c'est un qui parle, je vous prie d'y faire attention , mais il a cette originalité que son nom est imprononçable, de sorte que c'est ainsi que la question s'ouvre.

C'est pour ça, chose curieuse, que c'est par un fils d1sraël, un nommé Freud, que, véritablement pour la première fois, nous trouvons au centre du champ, et pas seulement du champ du savoir, mais de ce pourquoi le savoir nous tient aux tripes, et même, si vous voulez, par les couilles, bref que c'est là qu'est à proprement parler évoqué le Nom-du-père, et le tralala de mythes qu'il trimbale.

Car, si j'avais pu vous faire mon année sur le Nom-du-père, je vous aurais fait part du résultat de mes recherches statistiques. C'est fou ce que, même chez les Pères de l'Église, cette histoire du père, on en parle peu. Je ne parle pas de la tradition hébraïque, où très évidemment, elle est partout en filigrane. (Et si elle peut l'être, bien sûr, c'est parce qu'elle est très voilée).

C'est pour ça que, dans le premier séminaire, celui après lequel j'ai clos la boutique cette année-là, j'avais commencé par parler du sacrifice d'Isaac, notant que le sacrificateur, c'est Abraham. Ce sont là des choses qu'il y aurait tout intérêt à développer, mais qu'en raison du changement de configuration, de contexte, et même d'auditoire, il y a, en effet, fort peu de chance pour que j'y revienne.

Néanmoins, une toute petite remarque, parce qu'il y a des mots qui sont très à la mode. De temps en temps, je pose des questions, comme ça : est-ce que Dieu croit en Dieu, par exemple ? Je vais vous en poser une. Si, au dernier moment, Dieu n'avait pas retenu le bras d'Abraham, en d'autres termes, si Abraham s'était un peu trop pressé et avait égorgé Isaac, Cest-y ce qu'on appelle un "génocide" ou pas ?

On parle beaucoup pour l'instant du génocide ; et je trouve que ce jalon mérite d'être noté, spécialement concernant l'origine du peuple juif et le fait d'épingler le lieu d'une vérité sur ce qu'il en est de la fonction du génocide. En tout cas, ce qui est certain, comme je l'ai souligné dans cette première conférence, c'est qu'à la suspension de ce génocide, a correspondu l'égorgement d'un certain bélier, qui est tout à fait clairement là au titre d'ancêtre totémique.

(Séance 11, plus bas)

Ainsi, ce Dieu indéracinable n'a d'autre fondement, quand on le regarde de près, que d'être la foi faite à cet univers du discours, qui n'est certes pas rien. Alors, si vous vous imaginez que je suis en train de faire de la philosophie, il va falloir que je vous raconte un apologue. Il faut mettre dans les coins de grosses figures, pour faire comprendre ce qu'on veut dire.

Vous savez que l'ère moderne a commencé, comme d'autres : c'est pour ça qu'elle mérite d'être appelée moderne, parce que, sans ça, comme dit Alphonse Allais : “qu'est-ce qu'on était moderne au Moyen âge !". Si l'ère moderne a un sens, c'est à certains franchissements (qu'elle se marque)4 , dont l'un a été celui-ci : le mythe de l'île déserte.

J'aurais aussi bien pu en partir que du pari de Pascal. Ça continue toujours de nous tracasser. "Qu*est-ce que vous emporteriez avec vous comme bouquin dans une île déserte ? "Ah ! ce que ça doit être amusant, une pile de la Pléiade, ce qu'on se marrerait ! Quand il s'agit de trouver un derrière de crevette abandonné quelque part, la lecture de la Pléiade, ça doit être passionnant.

Ça a pourtant un sens. Et, pour vous l'illustrer, je vais vous donner ma réponse. Frémissez un instant. "Qu'est-ce qu'il emporterait, lui, dans une île déserte, en tant que bouquin ?” Ben, répondez ! - Quelqu'un : la Bible. - M. Lacan : La Bible, naturellement. Je m'en balance ! Qu'est-ce que vous voulez que j'en foute sur une île déserte ? Sur une île déserte, j'emporterai le Bloch et von Wartburg.

J'espère tout de même que vous savez tous ce que c'est ; ce n'est pas la première fois que j'en parle. Le Bloch et von Wartburg s'intitule, d'une façon qui prête, bien sûr, à malentendu : "Dictionnaire étymologique de la langue française". "Étymologique", ça ne veut pas dire, en particulier, qu'on vous donne le sens des mots à partir de la pensée qui a précédé leur création. Ça veut dire qu'à propos de chaque mot, on vous fait un petit épinglage avec les dates de leurs formes et de leurs emplois au cours de l'histoire.

Ce qui a une valeur tellement éclairante, foisonnante, qu'à soi tout seul, en effet, on peut se passer de tout le monde , on voit à quel point le langage, c'est, à soi tout seul, une compagnie.

Il est extraordinairement curieux que Daniel Defoe, pour prendre celui qui n'a pas inventé l'île déserte - (celui qui l'a inventée, c'est Balthazar Grazian, qui était quelqu'un d'une autre classe ; il était jésuite et pas menteur, par dessus le marché. C'est dans le Criticon, où le héros, retour de je ne sais où sur l'Atlantique, passe un certain temps sur une île déserte, ce qui a pour lui au moins l'avantage de le mettre à l'abri des femmes) il est extraordinaire, donc, que Daniel Defoe ne se soit pas aperçu que Robinson n'avait pas à attendre Vendredi, que déjà, du seul fait qu'il était un être parlant, et qu'il connaissait parfaitement son langage, à savoir la langue anglaise, c'était un élément aussi essentiel pour sa survie dans l'île, que son rapport avec quelques menues broutilles naturelles, dont il était arrivé à se faire cahute et ravitaillement.

(Séance 11, plus bas)

Vous avez eu la bonté de me suivre jusqu'à présent dans des chemins étroits dont le fil, pour certains d'entre vous, peut paraître poser la question (de son origine et de son sens)5 ; en d'autres termes, il se peut bien, je pense, que vous ne sachiez plus très bien où nous en sommes. C'est pourquoi le temps m'a paru opportun, et non d'une façon contingente, de poser la question de mon titre, par exemple, qui est, pour mon discours de cette année : "D'un Autre à l'autre".

Il est bien concevable, en effet, que ce ne soit pas à l'entrée, en manière de préface, voire de programme, que quelque chose puisse être élucidé de ce qui est une fin. Il faut au moins avoir fait un bout de chemin, puisque c'est de la rétroaction que le départ est clair.

Ceci n'est pas seulement pour vous, mais, après tout, pour moi-même, puisqu'il me faut bien, en cette opération de forage, si l'on peut dire, qui est justement ce qui vous intéresse, ce qui vous retient, ce qui fait qu'au moins un certain nombre d'entre vous, sinon tous, sont ici, - il me faut, donc, prendre le repère de ce qui en constituait les étapes dans le passé.

C'est ainsi qu'il m'est arrivé de reprendre, (qui sait ? Peut-être aux fins d'une publication) le texte de ce que j'ai énoncé il y a maintenant dix ans, je veux dire : au séminaire de 1959-60 - ça fait une paye ! - sous le titre "L'éthique de la psychanalyse". Ça m'a donné quelques satisfactions d'ordre intime.

Si. en effet, je mets au jour quelque chose qui s'efforcera de reproduire aussi fidèlement que possible le tracé de ce que j'ai fait alors, ce qui, bien entendu, ne saurait aller sans tous les effets rétroactifs de ce que j'ai pu énoncer depuis, et nommément ici… C'est donc une opération délicate, et la seule grâce à quoi je ne saurais m'en tenir à l'excellent résumé qui avait été fait, deux ans plus tard, par quelqu'un de mes auditeurs, nommément Safouan. Les raisons pour lesquelles je ne l'ai pas publié alors, ce résumé, j'aurai à les dire ; mais ce sera plutôt l'objet d'une préface à ce qui en sortira.

Ma satisfaction à l'occasion, que vous pourrez partager, si vous me faites foi sur le fidèle du tracé que j'essayerai d'en produire, est due au fait que, non seulement rien ne me force à réviser ce que j'ai avancé alors, mais qu'après tout, je peux y loger, comme dans une sorte de coupelle, ce que de plus rigoureux j'arrive de ce projet à énoncer, disons, aujourd'hui.

En effet, lors de cette mise en question, qui n'avait jamais été faite, de ce comporte, sur le plan éthique (c'est un terme nouveau), de ce qu'apporte de nouveau ce que j'énonce de la façon qui me semble la plus rigoureuse par les termes : l'événement-Freud, et qui est ce dont j'ai cru devoir partir, il s'agissait d'un premier essai, d'une amorce de rédaction.

J'ai maintenant, à la date où nous sommes, la satisfaction de voir que, pour ce qu'il en est de la fonction d'un auteur comme Freud, une société très large d'esprits se trouve en position de mesurer son originalité, comme l'a fait, par exemple. samedi dernier, Michel Foucault dans une sorte de mauvais lieu qu'on appelle la "Société de philosophie".

(Son argument avait pour titre) : "Qu'est-ce qu'un auteur ?" : ainsi posait-il la question. Et cela l'amenait à mettre en valeur un certain nombre de termes qui méritent d'être énoncés à propos d'une telle question, (celui du nom d'un auteur, par exemple, en tant que sa fonction ne va pas de soi). C'était vraiment, au niveau d'une interrogation sémantique à proprement parler, qu'il trouvait moyen de mettre en valeur l'originalité de cette fonction, et sa situation étroitement interne au discours.

Ce qui comporte, bien entendu, une mise en question, et à l'occasion, un effet de scission, de déchirure, pour ce qu'on appelle la société des esprits ou la république des lettres dans ses rapports avec ce qu'il en est du discours. Que Freud ait, à cet égard, joué un rôle capital, c'est ce que l'auteur en question. Michel Foucault, a non seulement accentué, mais à proprement parler mis en pointe de toute son articulation.

Pour tout dire, "la fonction du retour à tel est le titre de ce à quoi aboutissait cette interrogation sur "qu'est-ce qu'un auteur ?" : et je dois dire que de ce seul fait je me suis considéré comme y étant invité. Il n'y a personne. après tout, de nos jours, qui, plus que moi, ait donné poids au "retour à…", à propos du" retour à Freud".

Il l'a, au reste, fort bien mis en valeur, montrant sa parfaite information du sens tout spécial, de ce" retour à Freud", et du point clé qu'il constitue par rapport à tout ce qu'il en est actuellement de ce glissement, de ce décalage, de cette profonde révision de la fonction d'auteur, et de l'auteur littéraire tout spécialement.

C'est ce qui donne ce cercle qu'une fonction critique (dont, après tout, il n'y a pas lieu de nous étonner qu'elle ne soit pas de nos jours tout aussi à la traîne que dans les autres temps, tout aussi bien en retard par rapport à ce qui se fait) a cru pouvoir épingler de ce terme bizarre, qu'assurément aucun de ceux qui en sont les éléments de pointe n'assume, mais dont nous nous trouvons affectés comme d'une bizarre étiquette qu'on nous aurait collée dans le dos, sans notre aveu : celui de "structuralisme".

(Séance 12 du 26 février 1969)

Or je ne puis faire, puisque le temps me presse, que rappeler l'analogie économique que j'ai ici introduite concernant ce qu'il en est de la vérité comme travail, analogie combien sensible à ceci (qui est de notre expérience), qu'en un discours, au moins celui analytique, le travail de la vérité est plutôt évident, parce que pénible, puisqu'il s'y agit de frayer, sans se précipiter à droite ou à gauche, dans je ne sais quelle identification intuitive, qui court-circuite, en quelque sorte, le sens de ce dont il s'agit dans les références les moins pertinentes, celles du besoin, par exemple.

C'est, au contraire, à la fonction du prix que j'homologuais le savoir. Or le prix, ça ne s'établit certainement pas au hasard, non plus qu'aucun effet de l'échange. Mais ce qu'il y a de certain, c'est que le prix en lui-même ne constitue pas un travail. Or c'est bien là le point important : le savoir non plus, quoi qu'on en dise.

C'est une invention de pédagogues que le savoir, ça s'acquiert à "la sueur de son front", nous dira-t-on bientôt, comme si elle était forcément corrélative de "l'huile de nos veilles". Avec un bon éclairage électrique, on s'en dispense. Mais je vous interroge : est ce que vous avez jamais rien, je ne dis pas "appris" (parce qu'apprendre, c'est une chose terrible : il faut passer à travers toute la connerie de ceux qui vous expliquent les choses et ça, c'est pénible à soulever) ? Mais est-ce que savoir quelque chose, ça n'est pas toujours quelque chose qui se produit en un éclair ?

Tout ce qu'on dit du soi-disant "apprentissage", du fait d'avoir quelque chose à faire avec les mains, ou aussi bien celui de savoir se tenir à cheval, ou sur des skis ; ça n'a rien à faire avec ce qui est un savoir.

Il y a un moment où vous vous dépêtrez avec des choses qu'on vous présente, qui sont des signifiants ; et, de la façon dont on vous les présente, ça ne veut rien dire et puis, tout d'un coup, ça veut dire quelque chose, et ce, depuis l'origine.

Il est sensible, à la façon dont un enfant manie son alphabet, que ce n'est d'aucun apprentissage qu'il s'agit, mais de quelque chose qui est ce collapsus qui unit une grande lettre majuscule avec la forme de l'animal dont l'initiale est censée répondre à la lettre majuscule en question ; l'enfant fait la conjonction, ou ne la fait pas ; dans la majorité des cas, c'est-à-dire, dans ceux où il n'est pas entouré d'une trop grande attention pédagogique, il la fait. Et le savoir, c'est ça.

Et chaque fois que se produit un savoir, il n'est pas inutile, bien sûr, qu'un sujet ait passé par cette étape, pour comprendre ce qui se passera d'effets de savoir au niveau des petits schémas de la théorie des ensembles que j'ai un scrupule de ne pas vous avoir fait complètement bien sentir tout à l'heure ; mais le temps me pressait, nous y reviendrons s'il le faut.

Qu'est-ce que savoir, si nous devons, poussant les choses plus loin, interroger ce qu'il en est de cette analogie fondamentale ? Le savoir, ici, reste encore parfaitement opaque, puisqu'il s'agit au numérateur de la première relation d'un savoir singulier qui est ceci, qu'il y a une vérité, et parfaitement articulée, à quoi il défaille, en tant que savoir, et que, en raison de cette relation, il n'est pas exclu que nous attendions la vérité sur ce qu'il en est du savoir.

Il est clair que je ne vous laisse pas là au niveau d'une pure et simple énigme, et que le fait que j'aie introduit cette relation par ce terme vous désigne que c'est effectivement dans l'articulation que j'ai déjà, me semble-t-il, assez cernée, de l'objet a, que doit tenir toute manipulation possible de la fonction du savoir.

Aurai-je besoin ici, au moment de terminer, d'avoir l'audace de penser qu'il nous faudra donner un sens plausible à ce qui s'écrirait d'une conjonction croisée, du type de ce dont on se sert en arithmétique, portant sur ce savoir concernant l'inconscient à ce savoir interrogé en tarit que fonction radicale, pour autant qu'en somme, il constitue cet objet même vers quoi tend tout désir, du fait même qu'il se produit au niveau de l'articulation ?

Comment le savoir est lui-même, en tant que savoir, perdu, à l'origine de ce qui apparaît de désir, dans toute articulation possible du discours, c'est ce que nous aurons à considérer dans les entretiens qui suivront.

(Séance 12, in fine)

Là-dessus, pour faire annonce d'un épisode menu de mes rencontres, il m'est arrivé cette semaine d'entendre une formule - je m'excuse, auprès de son auteur, si je la déforme un peu -. Il s'agissait d'une formule aux prémisses d'une recherche dans la ligne de mon enseignement, qui était de situer la fonction de la psychanalyse, non pas à tout prix comme science, mais comme indication épistémologique (puisque la recherche est à l'ordre du jour) sur la fonction de la science.

Cette formule était la suivante : “la psychanalyse serait, dans les sciences, quelque chose qu'on pourrait formuler comme une “science sans savoir”. Mon interlocuteur allait jusque-là, sans doute porté par ce qu'il en est d'un certain mouvement actuel, pour autant qu'à un niveau, qui est bien aussi d'expérience, la mise en question se pose de ce qu'il en est d'une sorte de relativité qu'on accuserait d'être un mode de domination sociale au niveau de la transmission du savoir.

J'ai vivement repris mon interlocuteur, au nom précisément de ceci, qu'il est faux de dire que rien de l'expérience analytique ne pourrait s'articuler à proprement parler dans un enseignement, ne pourrait se doctriner comme savoir, et de ce fait (puisqu'il s'agit de ce qui est mis en cause présentement) être énoncé d'une façon magistrale dans les termes qui sont ceux, précisément, sous lesquels je l'énonce, ce savoir, ici.

Et pourtant, sous un certain angle, d'une certaine façon, c'est la vérité, ce qu'avançait mon interlocuteur ; et c'est la vérité, au niveau de ce savoir analytique, qu'il n'en est pas un, de savoir, par rapport à ce qu'il a l'air d'être, à ce pourquoi on le prendrait, si, sous prétexte qu'il a énoncé le rapport originel, radical, de la fonction du savoir à la sexualité, on se précipitait trop vite, - C'est un pléonasme ! - à en déduire que c'est un savoir du sexuel.

Qu'est-ce qui a appris, dans la psychanalyse, à savoir bien traiter sa femme ? Parce qu'enfin, ça compte, une femme. Il y a une certaine façon de l'attraper par le bon bout. Ça se tient en mains d'une certaine façon, à laquelle elle se ne trompe pas, elle. Elle est capable de vous dire : “Vous ne me tenez pas, comme on tient une femme”.

Que les voies, dans une analyse, puissent être éclaircies, qui l'empêchaient, cet homme, à qui cette femme s'adressait dans ce que je viens de dire, de le bien faire, on aime à croire que ça se produit, à la fin d'une analyse.

Mais pour ce qui est de la technique, si vous me permettez de m'exprimer ainsi, le résultat est livré à son savoir naturel, à l'adresse, (si vous me permettez d'employer ce mot avec toute l'ambiguïté qu'à l'ordinaire des ressources du langage il possède en français : la faculté épinglée sous ce nom, et aussi le sens d'à qui ça s'adresse) à l'adresse supposée donnée au bout d'un déblayage.

Il est clair qu'il n'y a rien de commun entre l'opération analytique et quoi que ce soit qui relève de ce registre que j'ai appelé à l'instant : “technique”.

(Séance 13 du 5 Mars 1969)

Que peut vouloir dire ce savoir - et c'est bien là ce qui nécessite qu'on revienne toujours sur cette fonction de “l'inconscient” - ce savoir dont la marque, à un certain niveau qui s'articule (comme) de vérité, se définit en ce que ce savoir qui vous préoccupe, c'est ce qu'on sait le moins ?

Et c'est ce qui permet peut-être d'énoncer, pour éclaircir les choses, qu'on pourrait dire d'un certain point de vue que, dans notre culture, notre civilisation, notre sauce, cette poêle à frire en tout cas, qui est bien le seul terme qui justifie votre rassemblement ici, on pourrait aller jusqu'à soutenir que la psychanalyse y a cette fonction d'entretenir cette sorte d'hypnose qui fait qu'après tout, c'est bien vrai, hein, le sexuel, chez nous, est maintenu dans une torpeur sans précédent.

Tout ça n'est point une raison pour que la psychanalyse puisse servir d'aucune façon à contester - puisque c'est de cela qu'il s'agit - le bien-fondé de la transmission d'un savoir quelconque, même pas du sien. Car, après tout, elle a découvert quelque chose, quelque mythique qu'en soit la formule ; elle a découvert ce qu'on appelle dans d'autres registres des "moyens de production".

De quoi ? D'une satisfaction. Là-dessus, elle a découvert qu'il y avait quelque chose d'articulable et d'articulé, quelque chose que j'ai épinglé, que j'ai énoncé comme étant des "montages", et comme ne pouvant littéralement pas se concevoir autrement ; c'est ce qu'elle appelle "pulsions". Et ça n'a de sens, ce qui veut dire que la psychanalyse ne les présente comme telles, que pour autant qu'à l'occasion, c'est satisfaisant, et que, quand on les voit fonctionner, ça implique que ça porte avec soi sa satisfaction.

Quand, sous le biais d'une articulation théorique, elle dénonce, dans un comportement, le fonctionnement de la pulsion orale, de la pulsion anale, de l'autre encore, la scoptophilique, ou de la pulsion sado-masochique, c'est bien pour dire que quelque chose s'en satisfait, dont il va de soi qu'on ne peut le désigner autrement que comme ce-qui-est-dessous : un sujet, upokeimenon, quelque division qui doive nécessairement en résulter pour lui, au nom de ceci qu'il n'est là que le sujet d'un instrument en fonctionnement, d'un “organon”.

(Séance 13, plus bas)

Ce savoir donc, ce n'est pas en vain qu'en somme ici je le produis comme approchable notionnellement et comme un savoir qui serait identique à ce champ, tel que je viens de le cerner (d'un horizon)6 et qui serait “savoir-y-faire” dans ce champ.

Est-ce même suffisant ? Ce “savoir-y-faire” est un peu trop proche encore du savoir-faire, sur lequel il a pu y avoir tout à l'heure un malentendu, que j'ai favorisé d'ailleurs, histoire de vous attraper là où il faut : au ventre.

Ce serait plutôt : “savoir-y-être” ! Et cela nous ramène au biais qui fait ici notre question, cela nous ramène toujours aux bases, comme il convient, de notre enjeu. Car, ce que la découverte freudienne avance, c'est qu'on peut y être, sans savoir qu'on y est, et qu'à se croire le plus sûr de se garder de cet “y-être”, qu'à se croire être ailleurs, dans un autre savoir, on y est en plein.

C'est ça qu'elle dit, la psychanalyse : on y est sans le savoir, on y est dans tous les champs du savoir. Et c'est pour ça que c'est par ce biais que la psychanalyse se trouve intéresser la mise en question du savoir, bien loin qu'il s'agisse aucunement d'une mise en question à partir d'une vérité, et nommément d'une ontologie, mais bien à partir de nulle part. Où qu'on soit, où qu'on fonctionne, par la fonction du savoir, on est dans l'horizon du sexuel.

Avouez que ça vaut tout de même la peine qu'on aille y regarder de plus près. On y est sans le savoir. Est-ce qu'on y perd ? Ça ne semble pas faire de doute, puisque c'est de là qu'on part. On y est couillonné jusqu'à la garde. La duperie de la conscience, c'est justement qu'elle sert à quoi elle ne pense pas servir.

J'ai dit : “duperie”, et non : “tromperie”. La psychanalyse ne s'interroge pas sur la vérité de la chose. De nulle part, nous ne sortirons d'elle des discours sur le voile de Maya ou sur l'illusion fondamentale de la “Wille”. “Duperie” implique quelque chose, mais ici moins court à résoudre qu'ailleurs. Une “dupe”, c'est quelqu'un que quelqu'un d'autre exploite.

Qui exploite ici ? L'accent étant mis sur la duperie, quand même, la question fuse. Et c'est ce qui fait que dans une zone qui est celle des suites de la théorie marxiste, on frétille un peu. “Est-ce que cette sacrée psychanalyse ne pourrait pas donner la…”. C'est ce que j'ai entendu, comme ça, surgir dans des paroles. Je préfère, je vous l'ai dit, un “discours sans parole”7. Mais quand je vais voir les gens, c'est pour qu'on parle. Alors, ils parlent, ils parlent plus que moi ; et je les ai entendus avancer quelque chose de cet ordre : “Après tout, la psychanalyse pourrait bien être une caution de plus pour la théorie de l'exploitation sociale”.

Ils n'ont pas tort. L'exploiteur, simplement, est ici moins facile à saisir ; le mode de la révolution, aussi. C'est une duperie qui ne profite à personne, au moins en apparence. Alors, est-ce que le savoir de l'expérience analytique, c'est seulement le savoir comme servant à n'être pas dupe de ce qu'il en est de la musique ?

Mais à quoi bon, si ça ne s'accompagne pas d'un savoir en sortir, ou même, plus précisément, d'un savoir introïtif, d'un savoir entrer dans ce qui est en question, à partir de cet éclair qui peut en résulter sur l'échec nécessaire de quelque chose dont ce n'est peut-être pas le privilège de l'acte sexuel (de le manifester)8 ?

Par rapport à cette question, la psychanalyse, en fait, est restée sur le seuil. Pourquoi ? Qu'elle reste sur le seuil dans sa pratique, c'est ce qui ne peut être justifié que d'une façon théorique, et c'est ce à quoi nous nous efforçons. Mais qu'elle y soit restée aussi sur le plan théorique, je dirai que c'est son problème. Laissons-la s'en tirer toute seule.

Ça ne nous empêche pas, tous tant que nous sommes, ici, en tant que nous baignons dans la poêle à frire, d'essayer de faire, nous aussi, comme les autres : d'aller plus loin.

(Séance 13, plus bas)

Et juste un peu plus bas :

C'est vrai, je suis arrivé là-dessus à faire quelques énoncés, lesquels se sont trouvés vivement stimuler des esprits que rien ne préparait, venant de la psychanalyse, mais qui s'en sont trouvés stimulés, venant d'ailleurs, et d'un ailleurs qu'il n'est pas si simple de préciser, puisqu'il ne s'agit pas seulement de l'allégeance politique, mais aussi bien d'un certain nombre de modes suivant lesquels, dans le temps présent (c'est-à-dire, bien après que j'aie commencé d'énoncer la dite logique), il se produit toutes sortes de questions sur le maniement de ce signifiant, sur ce que c'est qu'un discours, sur ce que c'est qu'un roman, sur ce que c'est même que le bon usage de la formalisation en mathématiques.

Alors on est, là comme ailleurs, un peu pressé. La hâte a sa fonction que j'ai déjà énoncée en logique. Encore ne l'ai-je énoncée que pour montrer les pièges mentaux - j'irai jusqu'à les qualifier ainsi - dans lesquels elle précipite.

On finira bien, à vouloir accentuer combien ce que j'énonce comme logique du signifiant reste en marge, en quelque sorte, de ce qu'une certaine frénésie, celle de l'adhésion à la formalisation pure, permettrait d'écarter comme, disons, métaphysique, cette logique du signifiant, elle finira bien par faire qu'on s'aperçoive que même dans le domaine du pur exercice mathématique, l'usage de la formalisation n'épuise rien, mais laisse en marge quelque chose à propos de quoi vaut toujours la question de ce qu'il en est du désir de savoir.

Et - qui sait ? -, quelqu'un autour de moi l'a suggéré il y a quelques jours, il y aura peut-être, malgré moi, un jour en mathématiques quelque chose qui s'appellera le théorème de Lacan. Ce n'est certainement pas que je l'aurai cherché ; car j'ai d'autres chats à fouetter. Mais c'est justement comme ça que les choses arrivent.

À force de vouloir considérer comme clos - et c'est bien là une caractéristique de quelque chose qui, normalement, doit déboucher ailleurs - un discours non achevé, on produit des effets de déchet, comme cela.

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Ce théorème, on peut encore en laisser l'énoncé dans un obscur de l'avenir. Pour l'instant, revenons au savoir et repartons de ce qui, ici, s'énonce.

J'ai mis quelques petits mots au tableau, pour que ça vous serve à accrocher quelques-uns des propos que je tiendrai aujourd'hui devant vous. En fait, depuis le temps, ça devrait vous suffire. Je veux dire qu'à partir de ces points d'accrochage que figurent, dans les premières lignes, les points d'interrogation, je devrais pouvoir passer la parole, au moins à certains d'entre vous, pour qu'ils fassent à ma place ce travail hebdomadaire qui consiste dans le forage de ce discours.

À la vérité, ce ne serait pas mal qu'on me relaye ; je veux dire que, comme cela s'est fait d'ailleurs quelques-unes des années précédentes, il pourrait y en avoir qui veuillent bien se dévouer pour pousser plus loin un certain nombre d'objets subsistants, de choses imprimées dont la mise au point ne serait pas vaine, après un certain laps de temps.

Car, il est bien évident que, dans ce que j'énonce, il y a des temps, des niveaux, du simple fait du point d'où il m'a fallu partir. Si l'on songe, en effet, que j'ai dû d'abord marteler ce qui était pourtant bien visible, sans que je m'en mêle, à savoir que l'inconscient - j'entends : l'inconscient dont parle Freud - est structuré comme un langage, ce qui est visible à l'œil nu, et qui n'a pas besoin, pour être vu, de mes lunettes, l'on comprendra ce propos de quelqu'un d'amical qui disait récemment que la lecture de Freud, en somme, c'est trop facile.

De fait, on peut le lire sans y voir que du feu, puisqu'après tout, cela a été bien prouvé, la première chose massive, celle dont il importait de se dépêtrer d'abord, n'avait même pas été aperçue, grâce à une suite de configurations qu'on peut appeler l'opération de vulgarisation. N'empêche qu'il a fallu du temps pour que je le fasse passer, et encore dans le cercle qui, à cet endroit, était le plus averti pour s'en apercevoir.

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Grâce à tous ces retards, il arrive des choses dont je ne peux pas dire, loin de là, qu'elles soient pour moi décourageantes. Il arrive, par exemple, qu'un Monsieur Gilles Deleuze, continuant son travail, sorte sous la forme de ses thèses deux livres capitaux dont le premier nous intéresse au premier plan. Je pense qu'à son seul titre : "Différence et Répétition", vous pourrez voir qu'il doit avoir quelque rapport avec mon discours, ce dont certes l'auteur est le premier averti.

Et puisque, comme ça, sans désemparer, j'ai la bonne surprise de voir apparaître sur mon bureau (vraie surprise d'ailleurs, car il ne me l'a nullement annoncé la dernière fois que je l'ai vu après le passage de ses deux thèses) un livre qu'il nous donne en surplus qui s'appelle "La logique du sens", il ne serait tout de même pas vain que quelqu'un, par exemple, d'entre vous, se saisisse d'une partie de ce livre (je dirai laquelle)…

Je dis une partie seulement, car c'est un gros morceau. Mais enfin, il est fait, comme doit être fait un livre, à savoir que chacun de ses chapitres implique l'ensemble, de sorte qu'en en prenant une partie bien choisie, ce ne serait pas mal de s'apercevoir que lui, dans son bonheur, il a pu prendre le temps d'articuler, de rassembler dans un seul texte seulement ce qu'il en est du cœur même de ce que mon discours a énoncé.

Et il n'est point douteux que ce discours est au cœur de ses livres, puisqu'il y est avoué comme tel, et que le séminaire sur “La lettre volée” en forme en quelque sorte le pas d'entrée, en définit le seuil. Mais enfin, lui, il a pu avoir le temps de toutes ces choses qui, pour moi, ont nourri mon discours, l'ont aidé, lui ont donné à l'occasion son appareil.

Il en est ainsi, par exemple, de la logique des stoïciens. Il se permet - il peut en montrer la place de soutènement essentielle, et le faire avec cette suprême élégance dont il a le secret, profitant cependant des travaux de tous ceux qui ont éclairé ce difficile point de la doctrine stoïcienne, difficile parce qu'aussi bien celle-ci ne nous est léguée que de morceaux épars, de témoignages étrangers, avec lesquels nous sommes forcés de reconstituer, en quelque sorte par des lumières rasantes, quel en fut effectivement le relief, relief d'une pensée qui n'était pas seulement une philosophie, mais une pratique, mais une éthique, mais une façon de se tenir dans l'ordre des choses.

C'est aussi bien pourquoi, par exemple, le fait de trouver à telle page (page 289) quelque chose, le seul point sur lequel, dans ce livre où je suis maintes fois évoqué, il indique qu'il se sépare d'une doctrine qui serait la mienne, (m'a arrêté)9. Il s'agit d'un certain rapport qui, à un moment tournant de mon enseignement, a porté devant la communauté psychiatrique réunie, l'essentiel de ma doctrine sur l'inconscient, celui de deux excellents travailleurs qui furent Laplanche et Leclaire.

“...la thèse de Jacques Lacan, dit-il, du moins telle que nous la connaissons rapportée par Laplanche et Leclaire…”. S'il fait cette réserve, il n'hésite pas cependant, étant donné, bien sûr, la grande pertinence qu'a dans l'ensemble ce rapport, à m'y rapporter aussi quelque chose qu'il semble impliquer, à savoir : ce qu'il appelle, ce qu'il traduit comme étant la plurivocité des éléments signifiants, au niveau de l'inconscient.

Ce qui s'exprime plus exactement dans telle formule qu'à relire ce rapport (puisque j'y avais l'attention attirée par cette remarque de Deleuze), j'ai trouvée écrite et qui est la suivante : la possibilité de tous les sens se produit à partir de cette véritable identité du signifiant et du signifié.

Cette dernière, certains d'entre vous s'en souviennent, résulte d'une certaine façon de manipuler, un peu au-delà de la façon dont je l'avais fait, la fonction métaphorique, en faisant fonctionner le S, rejeté au-dessous de la limite de la barre par l'effet métaphorique d'une substitution, puis en le faisant jouer conjoint à lui-même, comme représentant l'essence de la relation en cause, et comme jouant comme tel au niveau de l'inconscient.

Assurément, c'est là un point que je laisserai d'autant plus volontiers aux auteurs qui, dans ce remarquable rapport, me représentaient ; puisque c'est, en effet, ce qui résulte d'une certaine manipulation par eux de ce que j'avais énoncé jusqu'alors.

Si quelqu'un voulait s'employer à entrer là dans le détail, ce dont m'empêche assurément l'excès des devoirs de ma marche, qui est destinée par nature à ne pas pouvoir s'arrêter, étant donné qu'elle doit être encore longue, si quelqu'un était capable, en rapprochant ce qu'énonce Deleuze dans l'ensemble de cet ouvrage de ce qui est ici avancé, non absolument sans pertinence, mais assurément d'une façon qui représente une faille, il pourrait établir pourquoi c'est une faille et serrer d'une façon précise ce qu'il a pu y avoir là de fautif.

Et il s'apercevrait de ce qui rend cette faute cohérente, très précisément, de ce qui, dans ce rapport, joue autour de ce qu'il y a d'essentiel - et j'ai insisté à plusieurs reprises là-dessus les années précédentes - dans une juste traduction (ce qui revient à dire dans une juste désarticulation) de la fonction dite du “Vorstellung-Repräsentanz” et dans son incidence au regard de l'inconscient effectif.

Si quelqu'un voulait bien se proposer pour mettre au point ces choses, cela aurait l'avantage, comme il est toujours nécessaire, de permettre, et à l'occasion d'une façon publique, que ceux qui se réfèrent à mon enseignement et qui, bien entendu, le complètent, le nourrissent et l'accompagnent, constatent que ce qui a pu en être énoncé, et parfois d'une façon clarifiante dans les travaux de mes élèves, ne convient pas entièrement à traduire, non pas, dirai-je, ce qui était à ce moment l'axe de ce que j'énonçais, mais de ce que la suite a démontré pour en être l'axe véritable.

En attendant qu'une telle bonne volonté se propose, je souligne que l'article auquel je fais allusion : "L'inconscient, une étude psychanalytique", a été publié, d'ailleurs on ne sait trop pourquoi, dans les Temps Modernes de Juillet 1961, c'est-à-dire, sensiblement après que ce rapport ait été prononcé à un congrès dit de Bonneval, celui auquel se rapporte ce que j'ai moi-même apporté d'une rédaction, aussi elle-même très postérieure, dans mes Écrits sous le titre : "Position de l'Inconscient"

(Séance 14 du 12 mar 1969 )

Je vous annonce la couleur, je ne ferai pas mon séminaire, ma leçon, mon truc, enfin, appelez ça comme vous voudrez. Je recommence. Ce n'est pas pour rien que vous ne m'avez pas entendu d'abord. Je ne suis pas porté à parler fort, parce ce que je ne suis pas porté à parler du tout. C'est d'ailleurs ce que je vais faire, ou plutôt, ne pas faire.

J'ai l'intention de ne pas vous parler aujourd'hui. Ça a un certain côté soulageant, parce qu'il peut bien arriver que j'en aie ma claque. Mais enfin, justement ça n'est pas soulageant, parce que, comme vous le voyez, je suis assez fatigué, fatigué, pour des raisons très simples. Imaginez ce que vous voudrez : une petite Hong-Kong, comme ça, pendant le week-end, parce que, naturellement, un psychanalyste ne peut se permettre d'être malade que pendant le week-end.

Enfin le résultat est là : je ne vous parlerai pas aujourd'hui. D'ailleurs, c'était ce à quoi je m'étais résolu, de vous dire : “Eh bien, écoutez, voilà, je me fais porter malade ; le “séminaire”, comme vous l'appelez, n'aura pas lieu aujourd'hui” ; et puis, m'en aller.

Ce serait trop simple. J'ai déjà annoncé la dernière fois le plaisir que je pourrais avoir d'entendre quelque chose qui me viendrait en réponse, sous forme de témoignage, de ce qui vous peut arriver de ce que j'essaye de dessiner cette année. Il est évident que bien des choses me poussent à le désirer.

D'abord, un certain sentiment de ce que pourrait être, à la limite, ce que je fais, en poursuivant ici, ce qui s'épingle en fait - on ne sait pas trop pourquoi - comme “enseignement”. Est-ce que ça entre vraiment dans le cadre d'un enseignement, à part que ça se passe dans le périmètre de l'école normale ? C'est pas sûr.

Et puis, mon Dieu, c'est bien le cas de le dire : pourquoi est-ce qu'il y aurait tant de monde ? C'est vraiment un problème. Mais il faut croire, quand même, que ça doit avoir quelque chose d'intéressant, comme ça. Je n'ai aucune raison de croire que ce soit à longue portée, du train où vont les choses, cet intérêt pris à ce qui se passe ici.

Il m'est arrivé cette semaine, forcément pas très stimulante, n'est-ce pas, de me demander ce qui se passait ici ; j'ai rarement 39°, aussi ai-je mis un certain temps, deux jours, à me dire que c'est sûrement, parce qu'il doit y avoir quelque chose, comme ça, de pas très stimulant dans cet état, qui dure encore, (que je me posais la question)10.

Mais alors, j'ai fait une hypothèse, de travail - c'est bien le cas de le dire - concernant ce que je faisais ici et qui aurait, vraiment, que vous le sachiez ou pas, toute la nature d'un travail. C'est ce que peut-être peuvent vous permettre d'entrevoir certaines des choses que j'ai dites cette année.

Car enfin, c'est certain. La façon dont je vous parle d'habitude, quand j'ai mes petits papiers (qui peuvent vous étonner ; je les regarde plus ou moins ; il y en a beaucoup ; il y en vraiment trop), eh bien, ça a vraiment tous les caractères de ce qui se passe sur un établi, voire, pourquoi pas, dans une chaîne.

Les papiers viennent bien de quelque part, et finiront aussi par se transmettre à d'autres. Et avec ça, en effet, il se passe quelque chose sur quoi, quand je sors, je suis toujours assez perplexe pour interroger, avec quelquefois un peu d'angoisse, ceux dont je sais qu'ils peuvent me dire quelque chose qui m'intéresse.

Il est certain que j'ai fait là-dessus quelque chose qui a vraiment le caractère d'un travail qu'on a réalisé avec un certain matériel, et qui est quelque chose de construit, de réalisé : une production. Évidemment, c'est intéressant ; c'est intéressant à voir faire. Ce n'est pas si répandu d'avoir l'occasion de voir quelqu'un faire son travail, pour la plupart d'entre vous.

Enfin, j'ai le sentiment que ce qu'il vise, ce travail, ne peut que leur échapper complètement. C'est encore plus intéressant. Seulement, ça donne à la chose, à ce fait de regarder travailler quelqu'un, sans savoir où ça va, à quoi ça sert, ça lui donne une dimension un peu obscène, à cette chose.

Naturellement, ce n'est pas vrai pour tout le monde. Il y en a qui savent très bien à quoi ça sert ; enfin, à quoi ça sert, à terme limité. Mais, puisque je suis en train de pousser cette métaphore ouvrière, je dirai que mes patrons, eux, savent à quoi ça sert ; ou, inversement si vous voulez, que ceux qui savent à quoi ça sert, sont mes patrons. Il y en a ici qui en font partie. C'est pour eux que je travaille.

Et puis, il y en a quelques autres, qui sont entre les deux classes, et qui, eux aussi, ont une idée d'à quoi ça sert. C'est ceux-là qui, en quelque sorte, insèrent le travail que je fais ici, dans un autre texte, ou dans un autre contexte, qui est celui de quelque chose qui se passe, pour l'instant, à ce qu'on appelle “l'université”.

J'y suis très intéressé. Je dois dire qu'il y a quelque chose, dans ce qui se passe au niveau de 1'Université, qui a le plus étroit rapport avec ce que je fais comme travail.

(Séance 15 du 19 mars 1969, début)

La fois dernière, je vous ai parlé de la sublimation. Alors, évidemment, il ne faut pas en rester là, tout de même. Mais si c'est en ce point qu'il y a une petite suspension, un petit “suspense”, comme vous voudrez, ce n'est pas un hasard, quand même.

J'ai essayé de décrire les rapports de cette co-présence vue d'un côté, du mien. La question se pose, mettons-la du côté de la sublimation. Il vaut mieux en tout cas la mettre là pour aujourd'hui, parce que ça vous met en position féminine. Ça n'a rien de déshonorant, surtout au niveau où je l'ai placée : la plus haute élévation de l'objet.

(…)

Avant cette entrée en scène, usons donc de formes plus agréables et restons-en au niveau des rapports homme-femme, si, du côté de mon audience, je n'ai pas à craindre qu'il arrive des folies.

Néanmoins, si quelqu'un, maintenant, voulait bien tout de même m'apporter un signe d'audition, en posant une question, soit à propos de ce que je viens de dire, soit, ce que j'aimerais mieux, à propos de ce que j'énonce depuis le début de l'année, oui, j'aimerais qu'une question ou deux me viennent, sur ce terrain sympathique, pour lequel, vous le voyez, je fais moi-même l'effort courtois de ne pas faire défaut, même le jour où je suis à bout de forces.

Qui est-ce qui veut poser quelques questions ?

(Silence)

N'incitez pas trop au découragement, parce que après tout, je pourrais aussi, moi-même, être tenté par la démission. Supposez, par exemple, que ceux que j'ai appelés mes patrons, à savoir : les gens pour qui je travaille, ne menacent, dès que mon travail prend des conséquences qui les intéressent, ne menacent, eux, de leur démission ; ça pourrait arriver un jour. Eh bien, je me contenterai de faire mon travail devant eux.

Vous n'êtes pas là tous, en somme, de ceux qui ne sont pas des psychanalystes à mes yeux, enfin, de mon point de vue, votre principale utilité étant de leur donner bien le sentiment qu'ils ne peuvent pas, eux, m'empêcher de continuer à faire mon travail. Mais, si personne ne me répond de ce champ qui est celui des non-psychanalystes, - je vois des figures très intéressantes, là-bas ; je connais mon monde, quand même - si personne de ceux qui ne sont pas psychanalystes ne me donne jamais une réponse, mais vraiment une réponse qui m'amuse un peu…

Supposez qu'un jour, je sois arrivé quand même à les décrocher, les psychanalystes, à leur montrer qu'il serait tout aussi intéressant pour eux de travailler (parce qu'ils croient que c'est le privilège du psychanalysant ! Et ce qu'il y a d'absolument abusif, pour eux, dans mon travail, c'est que je fais, en somme, ce que fait le psychanalysant), eux qui ont mis définitivement le travail entre les mains du psychanalysant, ils se réservent “l'écoute”. Il y en a un, là, aux dernières nouvelles, qui les convoque (en ces termes)11 : "Venez m'écouter écouter. Je vous convoque à l'écoute de mon écoute…".

Maintenant, peut-être, je vais arriver enfin à faire basculer quelque chose du côté de ce terrain étrange, étroitement lié en ces points vifs, concernant cette question de la subversion de la fonction du savoir. Mais je ne ferai pas de séminaires ouverts. Je trouve ça pas très sérieux.

D'une certaine façon, je m'interroge devant le mot “manier le savoir", parce que ce mot "manier" commence à prendre une extension inquiétante.

Il y en a un, un type en or d'ailleurs, qui est venu me trouver, qui fera très bien. Naturellement, dans la première rencontre avec moi, il arrive des choses. Il est revenu la seconde fois, parce qu'il faut toujours voir quelqu'un au moins deux fois ; et il m'a dit que, la fois précédente, "il y avait eu manipulé". Je me suis creusé la cervelle, je lui ai fait expliquer ; ça voulait dire que je l'avais manipulé.

Il est toujours intéressant de voir le glissement des mots. Le mot "manipuler" est devenu, maintenant, dans le vocabulaire, permanent, par une sorte de fascination qui tient à ceci, qu'on ne pense pas qu'il puisse y avoir d'action efficace sur un groupe quelconque, sans le "manipuler", ce que je viens de dire, comme ça, d'une façon désormais admise, reconnue.

Et, après tout, ce n'est pas sûr qu'en effet, comme on dit, le pire (soit toujours)12 sûr ; mais enfin, c'était peut-être bien ça, oui ; mais alors, que ça prenne une valeur active, quand on est manipulé, c'est là un point de bascule que je vous signale ; et s'il doit se répandre, vous m'avertirez, si vous le voyez se poursuivre comme ça, pour la poursuite des questions concernant le savoir au niveau où elles sont présentifiées, dans la mesure où la psychanalyse peut y apporter quelque chose.

J'ai la dernière fois parlé du livre de ce cher Deleuze sur La logique du sens. J'ai demandé à Jacques Nassif - puisqu'à la vérité je ne suis pas étonné, je suis, comme on dit, très “amertumé” de l'absence totale de réponse, après une provocation poussée aussi loin. Ce n'est pas de la manipulation, justement. Il y a d'autres façons d'opérer. Mais ce total silence, cette totale absence de réponse, à mes appels désespérés d'au moins un petit témoignage !

Je vous laisse un examen de rattrapage, on peut m'écrire. L'écrit se passe après l'oral. Enfin, si un jour, à la fin de l'année, je faisais deux ou trois séances à portes closes, sachez qu'à part les personnes que je connais déjà, les personnes qui m'auront écrit auront un privilège.

Nassif, est-ce que vous vous sentez le courage, après cette séance épuisante, du moins pour moi, de prendre ici le pompon ?

(Séancee 15, plus bas)

Ce n'est pas, bien sûr, que cela suffise à authentifier comme scientifique ce à quoi mon enseignement s'efforce de parer, à quelque chose qui, au nom d'une prétendue référence à la clinique, laisse toujours le compte rendu de cette expérience à ce qu'on peut bien appeler une fonction réduite à je ne sais quel flair, lequel ne saurait bien entendu s'exercer, si ne lui étaient déjà donnés les points d'une orientation, qui, elle, a été le fruit d'une construction, et fort savante, celle de Freud.

Mais enfin, il s'agit de savoir s'il suffit de s'y loger, puis, à partir de là, de se laisser guider par ce qu'on prend pour être appréhension plus ou moins vécue de la clinique, mais qui n'est tout simplement que place faite à ce que s'y reglissent les plus noirs préjugés.

On prend cela pour du sens. C'est à ce “sens” que je crois que devrait être appliquée une exigence censitaire, à savoir, que ceux qui s'en targuent aient à faire preuve par ailleurs de suffisantes garanties. J'essaierai aujourd'hui de dire pourquoi ces garanties doivent être prises ailleurs que dans ce champ où, d'ordinaire, ils n'ont rien fait, ni pour authentifier ce qu'ils ont reçu de Freud concernant ce qui fait la structure de ce champ, ni - ce qui est bien l'exigence minimum - pour tenter de lui donner suite, d'en rendre compte.

__________

J'ai eu, parmi les premiers, à entendre de la sortie d'un libelle dont le titre, à lui seul, est déshonorant, et que je n'énoncerai pas ici de ce fait, mais qui, sous le chef avoué des auteurs, qui se déclarent dès les premières lignes, être tous les deux psychanalystes, prétend faire bilan, cuber, réduire à sa valeur (qui ne va pas plus haut que des horizons, je dois dire, exécrables, mais qui peuvent faire la règle dans un certain champ de l'expérience psychanalytique), réduire, donc, ce qu'il en est de ce qu'ils appellent (le nom est inclus dans leur titre), de ce qu'ils désignent globalement comme la “contestation”.

Après ça, vous savez à quoi vous en tenir : la régression psychique, l'infirmité, l'infantilisme sordide dont feraient preuve tous ceux qui, à quelque titre, se manifestent dans ce registre - et Dieu sait combien il peut être nuancé ! -, ceux-là sont vraiment ramenés au niveau de ce que, dans un certain champ, dans un certain cadre de l'expérience psychanalytique, on est capable de penser : ça ne va pas loin !

Je n'y ajouterai pas d'autre note. Simplement, je constate, j'enregistre que, quelque soupçon qui ait pu en venir à certains de mes élèves les plus authentiques, cela ne surgit de personne dont on ait vu ici, à quelque moment, la figure. C'est un fait ; c'est un fait que j'ai même confirmé, m'adressant à tel ou tel qui aurait pu tomber sous ce soupçon. Je dois dire que le fait même de poser cette question avait quelque chose peut-être d'un peu offensant.

Mais enfin, d'où je suis, il faut que je puisse répondre, et répondre de la façon la plus ferme, qu'aucun de ceux qui, à quelque moment sont apparus ici pour, à l'occasion, collaborer, me répondre, qui, à quelque degré aient été les assistants de ce séminaire, n'a fait rien d'autre que de répudier avec horreur la plus mince approbation qu'il pourrait donner à cette extravagante initiative, à ce véritable déculottage de la pensée au plus ras du sol.

Voici donc les choses aérées, ce qui d'ailleurs aussi bien n'exclut pas que, par quelque côté, telle personne que j'évoque à l'instant ne puisse aussi prendre quelque pente qui, à la fin du compte, n'est pas sans rejoindre ce qui peut s'exprimer dans un certain registre. Qu'elle ne le fasse pas, que toute la psychanalyse française ne soit pas derrière les deux auteurs (dont je me trouve, par certaines communications, savoir le nom et qui ne sont pas minces : qui appartiennent à un éminent institut que tout le monde connaît) que les choses n'en soient pas à ce que toute la psychanalyse ne soit pas là derrière, à propos de la contestation, après tout, je peux bien me targuer que c'est le fait de mon enseignement.

On ne peut pas dire qu'il ait eu un succès dans la psychanalyse. Mais, comme le disait à l'occasion, à un certain tournant des aventures, des avatars de cet enseignement, l'un de ceux même que j'ai cru devoir interroger, sans que mes soupçons puissent aller, à proprement parler, jusqu'au point de croire qu'il ne répudierait pas cet ouvrage, c'est tout de même la même personne qui, dans une de ces occasions, à propos de ce que j'énonce, ne parlait de rien moins que de terrorisme.

Ce serait donc le terrorisme dégagé par mon enseignement qui ferait que, si la psychanalyse française - après tout, disons-le -, mises à part quelques rares exceptions, ne s'est pas distinguée ni par une grande originalité, ni par une opposition à mon enseignement particulièrement efficace, ni non plus par une application du même, il n'en reste pas moins que certains discours sont impossibles en raison de cet enseignement, et qu'il faut vraiment résider, comme cela existe, résider dans un milieu où il est, à proprement parler, interdit même de feuilleter les quelques pages que j'en ai laissées sortir, pour que de pareils énoncés, qui, je le répète, viendront bien vite à votre connaissance, puissent se produire.

Si j'en parle, c'est que déjà tel hebdomadaire fait à l'ordinateur, met en évidence, et à une bonne page, le “narcissisme” imputé dans cet ouvrage aux contestataires, dans une totale méconnaissance, bien entendu, de la rénovation, il faut bien le dire, que j'ai apportée de ce terme.

(Séance 17 du 23 avril 69)

Je ne fais, vous le pensez bien, qu'indiquer des portes d'entrée qui sont celles que nous pousserons dans les séances à venir.

Je ne voudrais terminer qu'à faire cette remarque : si je me suis limité, dans ma vie, à commenter mon expérience et à l'interroger dans ses rapports à la doctrine de Freud, c'est précisément dans la visée de n'être pas un penseur, mais une pensée, celle de Freud, déjà constituée, et de l'interroger, en tenant compte de ce qui la détermine, de ce qui, hégéliennement parlant, fait ou non sa vérité.

(Séance 17, derniers mots)

Tous les empires sont justes. S'il est venu là-dessus récemment quelque doute, ça doit avoir une raison. (Tracer)13 l'horizon de ce qui se passe là, c'est l'excuse à ce discours public, à ce quelque chose que je continue, bien qu'il ne s'adresse, en principe, qu'aux psychanalystes. L'horizon de ce discours, le voici : ce dont le temps témoigne par quelque chose que les sages ne veulent pas voir, alors que ce n'est plus du tout un prodrome, mais une déchirure patente, c'est que la discordance éclate entre savoir et pouvoir.

__________

Il s'agit, - c'est intéressant -, pour que, tout simplement, les choses ne traînent pas longtemps dans cette discordance, avec tout ce qu'elle comporte de bafouillages étranges, de redites, d'absurdes collisions, - il s'agit de définir en quoi cette disjonction s'opère et de la dénommer ainsi, sans penser qu'on va ainsi y parer, avec je ne sais quelle façon épisodique de retourner la veste du pouvoir, de dire que tout s'arrange, parce que ce sont ceux qui, jusqu'ici, en étaient les opprimés qui vont maintenant l'exercer, par exemple.

Non certes que, personnellement, j'en écarte d'aucune façon l'échéance possible, mais qu'il me paraît sûr que cela n'a de sens que pour autant que cela s'inscrit dans ce que je viens d'appeler le virage essentiel, le seul de nature à changer le sens de tout ce qui s'ordonne comme empire présumé (fût-ce du savoir lui-même), soit : cette disjonction du savoir et du pouvoir.

Cette formule, qui n'a qu'une valeur grossière, qui n'induit, à proprement parler, à rien, qui ne consiste en aucune “Weltanschaung”, en aucune présomption, utopique ou pas, d'une mutation poussée par on ne sait quoi, - cela doit être articulé, et le peut être, en raison de ceci, non pas que Freud en donne la saisie (renouvelant en un système qui serait en quoi que ce soit de comparable à ce où a voulu se faire perdurer le mythe de la conjonction du savoir et du pouvoir), mais, bien plus, qu'il en est ici lui-même le patient, celui qui, de par sa parole, une parole de patient, témoigne de ce que j'inscris ici sous ce titre de la disjonction du savoir et du pouvoir.

Il n'en témoigne pas seul. S'il la lit dans les symptômes qui se produisent à un certain niveau du subjectif, et s'il essaye d'y parer, c'est précisément là où se lit que lui-même, avec ceux qui témoignent de leur particularité de cette disjonction du savoir et du pouvoir, est, comme eux, patient de cet effort, de ce travail, de ce dont les effets que j'intitule de la disjonction du savoir et du pouvoir ne témoignent qu'en un point.

Et dans la mesure où moi-même je ne suis rien d'autre que la suite d'un tel discours, je témoigne, dans mon discours même, de ce à quoi conduit l'épreuve de cette disjonction, soit : à rien qui la comble apparemment, ni qui permette d'espérer la réduire jamais en une norme, en un cosmos.

C'est là le sens de ce que je m'essaie à poursuivre devant vous, d'un discours qu'inaugure Freud, raison pour laquelle j'ai commencé par une lecture attentive de ce dont témoigne ce discours, et pas seulement dans sa maîtrise ; car, très précisément, c'est de ses insuffisances qu'il est le plus instructif.

J'ai relu ce séminaire que je faisais en 1956-57, dérisoire distance de treize années qui, tout de même, me permet de mesurer quelque chose du chemin parcouru ; par qui ? par quoi ? Par mon discours, d'une part, et puis, d'un autre côté, par une sorte d'évidence, de manifestation du déchirement que ce discours désigne, lequel, bien sûr, ne doit rien à ce discours lui-même, mais grâce à quoi, peut-être, peut se

témoigner qu'il y a un discours, que je ne dirai certes pas à la page, mais, disons, pas trop à la traîne de ce qui s'est produit.

Cela dit, en raison des lois qui vont pour être les lois régnantes, celles du statut de l'Université, il faut bien, en effet, que ce discours non seulement soit à la traîne, mais soit forcé, au principe, de toujours se reprendre comme “nachträglich”, après coup, en raison du fait que rien ne l'enregistre, (d'une part)14, dans un renouvellement de forme, (analogue à)15 celle où subsiste ce dont il s'agit des pas majeurs, faits depuis un temps dans le savoir, et (d'autre part)16 qu'il se marque comme, internement disjoint de tout effet de pouvoir.

Nous repartons donc au principe (faisant retour)17 à ce texte de 1956-57, où n'était pas ce terme d'objet a que j'ai produit (depuis)18. Si cette chose était maintenant publiée, au-delà d'un résumé, d'ailleurs pas si mal fait, qui en fut donné dans le “bulletin de psychologie”, sous le titre “La relation d'objet et les structures freudiennes”, (il apparaît que c'était cela que)19 que j'essayais de déchiffrer, (restant)20 pendant plus d'un trimestre à la trace de ce texte, à lui tout seul si confondant, par son aspect de labyrinthe, par son attestation d'une sorte d'épellement balbutiant et tournant en rond, (d'où il ressort pour finir)21 que le petit Hans n'a plus peur des chevaux.

Séance 19 du 7 mai 69)

Observez que ceci implique la structure même du champ de l'Autre comme tel, ainsi que j'ai essayé, grâce à un schéma, de vous le faire sentir, dans plus d'une de mes précédentes leçons. Ce qui s'indique ici comme effet dans le champ de l'imaginaire, ce n'est rien d'autre que ceci : le champ de l'Autre est, si je puis dire, “en forme” de a. Au niveau de ce champ, cela s'inscrit dans une topologie qui, à l'imager, - car bien sûr ce n'est là qu'image intuitive - se présente comme le trouant.

Le pas suivant, (- après tout il est frappant qu'à ce que je dise des choses comme ça, ça passe, ça rentre comme dans du beurre ; ce qui prouve évidemment que les analystes n'ont pas une idée tellement sûre de ce à quoi ils peuvent tenir, dans un tel champ -) est celui que j'ai fait en énonçant quelque chose de simple, c'est à savoir que (l'opération)22 de faire retour de ces effets a dans l'imaginaire, à l'Autre, le champ d'où ils partent, de rendre à César, si je puis dire, ce qui est à César, comme a dit, vous le savez, un jour un petit malin (car il l'était, le bougre !), c'était ça l'essence de la perversion : rendre l'objet a à celui de qui il provient : le grand Autre.

C'est une façon, bien sûr, un tout petit peu apologétique de présenter les choses. Ce qu'il s'agit de savoir, c'est ce qu'on peut en tirer. Un effet du symbolique sur le champ de l'imaginaire, nous pouvons le considérer comme quelque chose d'encore problématique : quelle place va-t-il prendre ? En tout cas, nous ne pouvons en douter : ça touche au sujet, pour nous qui faisons du sujet quelque chose qui ne s'inscrit que d'une articulation un pied dehors, un pied dedans du champ de l'Autre.

(Séance 19 du 7 mai, plus bas)

Je voudrais partir de quelque chose d'aussi proche qu'il est possible. Tenez - vous m'en ferez la morale que vous vous voudrez, analytique, s'il vous plaît, ou autre -, voici un objet pour lequel j'ai une préférence, à titre d'appareil.

C'est un stylo qui est aussi proche qu'il est possible d'un porte-plume par sa minceur, porte-plume, au sens antique, antédiluvien : il n'y a plus que très peu de personnes qui s'en servent. Il est, comme tel, d'un très faible contenu, puisque, vous le voyez, son réservoir peut rentrer, pour finir, par devenir réduit à quelque chose qui tient dans le creux de la main. Il en résulte qu'il est très difficile à charger, parce qu'il se produit des effets osmotiques, ce qui fait que, quand on verse la goutte, la goutte est juste à la taille de son entrée.

Il est donc fort incommode ; et pourtant, j'y tiens ; j'y tiens d'une préférence spéciale, pour la raison qu'il réalise un certain type de porte-plume, avec une plume, une vraie. Et, en effet, il date, il date d'une époque où c'était vraiment une plume, et pas quelque chose de rigide, comme il se fait maintenant.

Ce porte-plume, donc, m'a été donné par quelqu'un qui savait que je cherchais ça. C'était un cadeau qui venait d'être fait très peu de minutes avant, ou d'heures, ou de jours, peu importe, et par quelqu'un qui en faisait certainement un hommage d'un ordre assez précis, pour tout dire : fétichiste.

C'était d'ailleurs un objet qui, de la personne donatrice à celle qui me l'a transmis, se signalait de venir de sa grand-mère. C'est bien pour ça qu'il n'est pas facile à retrouver. Il y a des échoppes tout à fait particulières, à New-York, paraît-il, où on vend les stylos de la Belle Époque. Par une autre voie, comme vous voyez, j'en ai un.

J'ai donc un aperçu de l'histoire de cet objet qui, par ailleurs, me tient à cœur pour lui-même, tout à fait indépendamment de cette histoire ; car, à la vérité, je ne sais pas spécial gré à la personne qui me l'a donné de m'avoir fait ce don. Mon rapport à lui est indépendant. Il est certainement très près de ce qui, pour moi, est l'objet a.

J'ai donné un aperçu de l'histoire de cet objet ; mais, pour tout objet, ne voyez-vous pas, à la façon dont je viens d'animer celui-là, que cette question de son histoire se pose autant que pour un quelconque sujet.

Or cette histoire, comment imaginer qui la sait, qui peut en répondre, sinon à instituer cet Autre comme le lieu où ça se sait ? Et qui ne voit pas, si on lui ouvre cette dimension, qu'au moins pour certains, et j'ose dire : pour chacun, elle existe ? que pour certains elle est tout à fait prévalente, mais que, pour tous, elle fait un fond : il y a quelque part où ça se sait, tout ce qui est arrivé.

Le signifiant de A, en tant qu'entier, dès qu'on s'interroge dans cette voie, on reconnaît qu'il est implicite, et que, pour le névrosé obsessionnel, il l'est beaucoup plus que pour d'autres. C'est par là, au niveau de l'histoire du sujet, en tant que celle-ci n'est pas du tout suggérée directement, mais aussi bien au niveau du sort des objets - et c'est pour ça que j'ai pris ce biais - qu'il est sensible, par cette voie, ce qu'a de fou cette présupposition d'un lieu quelconque où ça se sait.

Cela est important, parce qu'il est clair que le "ça se sait", au sens neutre où nous l'avons introduit, c'est là que se pose la question : si ça se sait soi-même. La réflexivité ne surgit pas de la conscience, sinon par ce détour qu'il faut vérifier si, là où l'on suppose que ça se sait, est-ce qu'il se sait que ça se sait.

(Séance 21 du 21 mai 69)

Il y a moins de personnes debout. Ce n'est pas que je le regretterai pour elles ; mais enfin, si ça signifie que le public se raréfie, je le regrette, puisqu'aussi bien c'est forcément (c'est mon style) dans les dernières rencontres que je dirai les choses les plus intéressantes.

Cela m'évoque que, l'année dernière, j'ai, de mon plein gré, et pour des raisons que je ne renie pas, suspendu ce que j'avais à dire aux alentours d'un certain début du mois de mai mémorable. Quel que fût la légitimité de ces raisons, il n'en reste pas moins que ce que j'ai dit de l'acte psychanalytique en reste tronqué.

Cet acte psychanalytique, personne n'avait même songé à le nommer en tant que tel, avant moi, ce qui est tout à fait un signe précis qu'on n'en avait même pas posé la question, puisqu'autrement, c'était la façon la plus simple de le nommer, à partir du moment où l'on pensait que, dans la psychanalyse, il y avait quelque part un acte.

Il faut croire que cette vérité était restée cachée ; mais étant donné ce dont il s'agit, je ne pense pas que ce soit par hasard que ce que j'avais à énoncer cette année-là sur l'acte se soit trouvé ainsi, comme je viens de le dire, tronqué.

Il y a, en effet, un rapport, (qui n'est naturellement pas de cause à effet) entre cette carence des psychanalystes sur le sujet de ce qu'il en est de l'acte, de l'acte psychanalytique, nommément, et puis de ces événements.

Mais il y a un rapport tout de même entre ce qui cause les événements, et le champ dans lequel s'insère l'acte psychanalytique, de sorte que, jusqu'à présent, on peut dire que c'est sans doute en raison de quelque déficience de l'intérêt au niveau de cet acte que les psychanalystes ne se sont pas révélés très dispos ni disponibles pour donner même quelque touche de saisie, fût-elle superficielle, de ces événements.

Bien sûr, ce n'est pas accidentel si, dans l'autre sens, les événements ont interrompu ce que je pouvais avoir à dire de l'acte ; mais, tout de même, ce n'est pas non plus sans représenter ce que je considère, quant à moi, comme un certain rendez-vous, rendez-vous que je ne déplore pas, puisque c'est ce qui m'a dispensé, sur ce sujet de l'acte psychanalytique, d'en venir à dire, en somme, ce qui n'était pas à pas à dire.

(Séance 22 du 4 juin 69, au début)

Quelle réalité peut le pousser à remplir cette fonction ? Quel désir, quelle satisfaction l'analyste peut-il y rencontrer ? Ce n'est pas ce que j'ai l'intention de désigner d'emblée, même si, avant de vous quitter, j'en dois dire plus. Il convient ici de mettre en relief la dimension du “scapegoat”, thème chéri d'un Frazer.

On sait que l'origine en est à proprement parler sémitique. Le bouc émissaire, c'est celui qui prend sur soi cet objet a, ce qui fait qu'à tout jamais, pour le sujet, il peut y être sursis ; grâce à lui, le fruit d'une analyse terminée, j'ai pu l'année dernière le désigner comme une vérité dont le sujet est, dès lors, incurable, précisément de ce qu'en ait été évacué un des termes.

Comment ne pas voir que de là s'explique la position singulière que, dans le monde social, occupe cette communauté des psychanalystes, protégée par une association internationale pour la protection des scapegoats. Le scapegoat se sauve par le groupement, et, mieux encore, par les grades. C'est vrai qu'il est difficile de concevoir une société de scapegoats ; alors, on fait des scapegoats adjudants-chefs, et des scapegoats qui font antichambre pour le devenir. C'est singulier…

Cette dérision facile n'aurait pas d'autre raison d'être si, dans des textes que je viens de recevoir pour un prochain congrès qu'on aura le front de tenir à Rome, il n'y avait pas, déjà publiées, des choses exemplaires ; car, ça n'est pas parce qu'on ignore le discours de Lacan, qu'on ne se trouve pas en face des difficultés que je viens ici d'articuler.

Particulièrement, concernant ce qu'il en est du transfert, quand on s'escrime à définir ce qu'il y a de non-transférentiel dans la situation analytique, il faut bien qu'on sorte quelques énoncés qui sont l'aveu, à proprement parler, du fait qu'on n'y comprend rien. On n'y comprend rien, parce qu'on n'a pas la clé. Et on n'a pas la clé, parce qu'on ne va pas la chercher là où je l'énonce.

De même, on avance un terme qui s'appelle le “self”, dont je dois dire qu'il n'est pas du tout inutile, à qui a quelque curiosité, de voir comment cela peut à la fois se motiver et se résoudre dans un discours tel que celui que je viens aujourd'hui d'articuler. Si j'ai le temps, lors de nos prochaines rencontres, je pourrai, là, revenir pour en dire plus.

De même, l'erreur, et, à proprement parler, l'ineptie de ce qui est avancé sur le sujet de ce qu'il en est de la cure psychanalytique de la psychose, l'échec radical qui s'y marque de situer justement la psychose dans une psychopathologie qui soit d'ordre analytique a les mêmes ressorts.

Assurément, si j'ai indiqué que j'aurais pu articuler quelque chose d'autre, sur le sujet de l'acte psychanalytique, quelque chose dont je déclare avoir été heureusement dispensé, c'est dans l'horizon de ce qu'il en est du masochiste qu'il conviendrait de poser, cette articulation.

Ce ne serait, bien sûr, pas pour les confondre, l'acte psychanalytique et la pratique masochiste. Mais il serait instructif et, en quelque sorte, ouvert, indiqué déjà par ce que nous avons pu dire, comme par ce qui s'étale littéralement dans la pratique masochiste, de voir comment la conjonction du sujet pervers avec l'objet a permet d'une certaine façon de dire qu'aussi loin qu'il le veut, le masochiste est le vrai maître.

Il est le maître du vrai jeu. Il peut y échouer, bien sûr ; il y a même toutes les chances qu'il y échoue, parce qu'il lui faut rien moins que le grand Autre. Quand le Père Éternel n'est plus là, pour remplir ce rôle, il n'y a plus personne. Et si vous vous adressez à une femme, Wanda, bien sûr, il n'y a aucune chance : elle n'y comprend rien, la pauvre.

Mais le masochiste a beau échouer, il en jouit tout de même, de sorte qu'on peut dire qu'il est le maître du vrai jeu. Il est bien évident que nous ne songeons pas un seul instant à imputer un tel succès au psychanalyste. Ça serait lui faire une confiance sur la recherche de sa jouissance que nous sommes loin de lui accorder. D'ailleurs ce serait peu convenable.

Pour avancer une formule qui a son intérêt, parce que j'aurai à la reprendre - et il ne faut pas s'en étonner - à propos de l'obsessionnel, nous dirons que le psychanalyste fait le maître, dans les deux sens du mot “faire”.

Faites un tout petit peu attention, encore cinq minutes, parce que c'est très en court-circuit, et que c'est délicat. Vous sentez bien, autour de l'acte psychanalytique, que, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, la question est celle de cet acte décisif qui fait, du psychanalysant, surgir, s'inaugurer, s'instaurer le psychanalyste.

Si, comme je vous l'ai tout à l'heure indiqué, le psychanalyste se confond avec la production du faire qu'est le travail du psychanalysant, c'est là qu'on peut bien dire que le psychanalysant fait, au sens fort du terme, le psychanalyste.

Mais l'on peut dire aussi qu'au moment précis où surgit le dit psychanalyste, s'il est si dur de saisir ce qui peut l'y pousser, c'est bien que l'acte se réduit à faire, au sens de la simagrée, à faire le psychanalyste, à faire celui qui garantit le sujet supposé savoir. Et qui, au début de sa carrière, n'a pas confié, à quiconque veut bien l'aider en ses premiers pas, qu'il a justement bien ce sentiment de “faire le psychanalyste” ? Pourquoi retirer sa valeur à ce témoignage ?

Mais n'est-ce pas ce qui permet, à reprendre ces deux fonctions du mot “faire”, de dire qu'il est bien vrai qu'en menant quelqu'un au terme de sa psychanalyse, au terme de cette incurable vérité : au point de celui qui sait que, s'il y a bien acte, il n'y a pas de rapport sexuel,_- est-ce que ça n'est pas là, même si ce n'est pas souvent que cela arrive, faire quelque part une vraie maîtrise ?

D'autre part cependant, contrairement au masochiste, si le psychanalyste, lui aussi, peut être dit avoir quelque rapport avec le jeu, ce n'est certes pas qu'il en est maître, mais que, tout de même, il en supporte, il en incarne l'atout-maître, pour autant que c'est lui qui vient à jouer le poids de ce qu'il en est de l'objet a.

Qu'en est-il donc, après avoir aujourd'hui poussé jusqu'ici ce discours, du point où peut se situer ce discours lui-même, à savoir : d'où je l'énonce ? Est-ce de celui où se tient le sujet supposé savoir ? Est-ce que je puis être le savant, en parlant de l'acte psychanalytique ? Certainement pas.

Rien n'est clos de ce que j'ouvre comme interrogation concernant ce qu'il en est de cet acte. Que j'en sois le logicien, et d'une façon que confirme le fait que cette logique me rende odieux à tout un monde, pourquoi pas ? Cette logique s'articule des coordonnées mêmes de sa pratique, et des points où elle prend sa motivation.

(Séance 22 du 4 juin, vers la fin)

Ce petit festival hebdomadaire n'étant pas destiné à continuer pendant l'éternité, nous allons aujourd'hui nous essayer à vous donner l'idée de la façon dont nous pourrions, dans un contexte plus favorable, mieux structuré, nous employer à mettre dans la théorie un peu de rigueur.

Quand j'ai choisi cette année pour titre de mon séminaire "D'un Autre à l'autre", une des personnes qui, je dois dire, s'était le plus distinguée par une prompte oreille à m'entendre dans cette enceinte, mais enfin qui, comme Saint Paul au chemin de Damas, avait été terrassée au détour par cette chose qui nous est arrivée l'année dernière (vous le savez tous : la mémoire en dure encore), et s'était vue précipitée en bas de sa monture inaccessible, par l'illumination maoïste, - ce quelqu'un, donc, a écouté mon titre, et m'a dit : “Oui… ça fait banal”.

Je voudrais quand même, si vous ne le soupçonnez pas déjà, bien pointer que ça veut dire quelque chose, quelque chose qui nécessite le choix très exprès de ces mots, lesquels, si j'ose espérer que vous les écrivez dans votre tête, s'écrivent : "D'un Autre à l'autre". Le grand A, il m'arrive, il m'est arrivé cette année à plusieurs reprises, de le réinscrire sur ces feuilles où, de temps en temps, je rappelle l'existence d'un certain nombre de graphes ; et "l'autre" concerne ce que j'écris d'un petit a.

(Cela serait entendu ainsi)23, si évidemment ces termes ne résonnaient plus à l'oreille étourdie par le bruitage d'un petit air de ballade, dans le genre "de l'un à l'autre", de l'un à l'autre aller, en promenade. Or c'est tout de même pas rien de dire ça : ça marque les points de scansion d'un déplacement : de là à là. Mais enfin évidemment, pour nous autres, qui ne sommes pas à tous les moments mordus par la démangeaison de l'acte, nous pouvons nous demander quel intérêt, si c'est de deux “un” qu'il s'agit, pourquoi plutôt l'un que l'autre, si l'autre en est encore un.

(séance 23 du 11 juin 69)

Qu'en est-il, en effet, des premiers pas que nous permet cette distinction, cette dissymétrie, sur quoi, vous le voyez, se fonde la différence qu'il y a, du signifiant qui représente le sujet, à celui auprès duquel il va s'inscrire au champ de l'Autre pour que surgisse le sujet de cette représentation même ? Cette dissymétrie fondamentale est celle qui nous permet de poser la question : qu'en est-il de l'Autre ? Est-ce qu'il sait ?

Je ne demande pas de répondre d'une voix. Si j'avais une brochette de deux rangées devant moi, qui soient des élèves d'un certain type, - heureusement je n'ai pas à les considérer comme typiques ; je peux quand même les évoquer comme amusants, après tout - pourquoi ne me dirait-on pas : “Mais non, il ne sait pas ! Tout le monde sait ça ; le sujet supposé savoir, pan-pan, il n'y en a plus !”

Il y a encore des gens qui croient ça, qui l'enseignent même, certes, dans des endroits inattendus, encore que récemment surgis. Mais ce n'est pas du tout ça que j'ai dit. Je n'ai pas du tout dit que l'Autre ne sait pas. Ce sont ceux qui disent ça, qui ne savent pas grand chose, malgré tous mes efforts pour le leur apprendre.

J'ai dit que l'Autre, comme c'est évident, puisque c'est la place de l'inconscient, sait. Seulement, il n'est pas un sujet. La négation, dans “il n'y a pas de sujet supposé savoir”, si tant est que j'aie jamais dit ça, sous cette forme négative, ça porte sur le sujet, pas sur le savoir.

C'est facile d'ailleurs à saisir, pour peu qu'on ait une expérience de l'inconscient. Ça se distingue en ceci, justement, qu'on ne sait pas, là-dedans, qui c'est qui sait, ce qui peut s'écrire de deux façons : “qui sait qui c'est” et “qui c'est qui sait”. Le français est une belle langue, surtout quand on sait s'en servir. Comme toutes les langues, aucun calembour ne s'y produit au hasard.

Alors, ce rappel du statut de l'Autre, c'est cela qui, dans mon symbolisme, s'écrit comme ça : S(A), S, ce qui veut dire signifiant, et A, auquel j'ai donné aujourd'hui la figure de l'ensemble vide. Je mets ça là, pour la raison suivante : puisque que, bien sûr ici, je suis forcé d'imaginer les demandes et les réponses, et du même style emporté qui tout à l'heure me laissait, imaginairement donc, supposer que l'on me disait que l'Autre ne savait pas, je ne voudrais pas qu'à la suite de ça, vous preniez l'idée que ce que je suis en train d'expliquer, c'est ce qui est en haut à gauche de mon graphe, à savoir : Signifiant de A

Ça, c'est autre chose. Comme je vous ferai encore deux séminaires, j'ai le temps de vous expliquer la différence. Pour l'instant, ce que je déduis aujourd'hui, avec quelque lenteur, mais qui est très important à parcourir, pour des raisons que je vous laisserai peut-être, à la fin de cette séance, entrevoir, c'est qu'il n'y a pas de confusion sur un certain nombre de notations.

(séance 23 du 11 juin)

Je serais d'une humeur plus excellente, si je n'avais pas envie de bailler, comme vous venez de me le voir faire, ayant eu, je ne sais pourquoi, par pur hasard, une nuit courte. Mon humeur excellente se fonde sur ces choses que l'on a entre deux portes, et qui s'appellent un espoir.

En l'occasion, il s'agirait de l'espoir qu'il soit possible, si les choses tournaient d'une certaine façon, que je sois libéré de cette sublimation hebdomadaire qui consiste dans mes relations avec vous.

"Tu ne me vois pas d'où je te regarde", avais-je énoncé au cours d'un de ces séminaires des années précédentes, pour caractériser ce qu'il en est d'un type de l'objet a, en tant qu'il est fondé sur le regard, qu'il n'est rien d'autre que le regard.

"Tu ne me dois rien d'où je te dévore" : tel est le message que je pourrais bien recevoir de vous sous la forme inversée que j'ai définie, en tant qu'il est le mien lui-même. De telle sorte que je n'aurai plus chaque semaine, à faire ici l'aller et retour, autour d'un objet a, qui est proprement ce que je désigne ainsi d'une formule, qui, vous le sentez, (devoir-dévoration) s'inscrit dans ce qu'on appelle improprement la pulsion orale.

On ferait mieux de la rapporter à ce qu'elle est : la chose placentaire, à savoir : ce en quoi je me plaque, comme je peux, sur ce grand corps que vous constituez, pour constituer de ma substance quelque chose qui pourrait faire pour vous l'objet d'une satisfaction. "O ma mère intelligence !", comme disait je ne sais plus qui…

Je vais donc aujourd'hui ne tenir qu'à moitié parole, concernant ce que je vous avais dit la dernière fois, puisque c'est seulement sous forme de devinette que je vous interroge rapidement sur ce qui peut s'ébaucher dans votre esprit à propos de ceci : d'où peut se justifier que je ne dispose plus, à partir de l'année prochaine, de cet endroit où vous me faites l'honneur au titre de ce que j'y produis, d'affluer.

Chargé de conférences par une École assez noble, celle dite “des Hautes Études”, abri m'a été offert par cette école, dans cette École, ici, Normale Supérieure, qui est un lieu préservé, qui se distingue par toutes sortes de privilèges, à l'intérieur de l'Université.

C'est un philosophe éminent, que je désigne, je pense, suffisamment en ces termes de “philosophe éminent” (il n'y en a pas des tas !) et qui professe ici, qui s'est fait mon intercesseur auprès de l'administration d'ici, pour que j'occupe cette salle. Est-ce cette occupation même qui peut servir de raison à ce que je n'en dispose plus ?

Je ne pense pas que je l'occupe à une heure où elle puisse être de quiconque enviable. Est-ce alors que ma présence ici engendre une sorte de confusion, du fait que mon enseignement s'autoriserait de l'École Normale Supérieure, que je viens de caractériser ainsi : par l'éminence dont elle bénéficie dans l'Université, ou, plus exactement, par le fait que, d'une certaine façon, elle soit exclue d'elle.

Il faut justement remarquer que je ne me suis jamais autorisé ici que du champ dont j'essaie de maintenir dans son authenticité la structure, et qu'à la vérité, je ne me suis jamais autorisé de rien d'autre, et tout spécialement pas que ces énoncés se produisent au niveau de l'École Normale.

Peut-être mon voisinage a-t-il induit un certain mouvement dans l'École Normale, limité d'ailleurs, de brève durée, et qui en aucun cas ne semble pouvoir s'inscrire à l'étage du déficit. Les Cahiers pour l'Analyse, qui sont parus, en quelque sorte induits par le champ de mon enseignement, ne peuvent pas passer pour un effet de déficit, même si on peut dire que ce n'est pas moi du tout qui y ai fait le travail.

Donc, beaucoup de raisons, ici, pour qu'il n'y ait aucune urgence à ce qu'on me confonde avec l'École Normale. Certainement, il y a eu quelque part, en un endroit unique, une confusion faite à cet endroit. Une personne, en effet, dont je vous avais signalé, au niveau du 8 janvier dernier, un article, je dois dire assez comique, qui était paru dans une revue qui l'abritait fort bien, la Nouvelle Revue Française ; ce quelqu'un faisait état de je ne sais quoi qu'on appelait “extrait”, voire exercice, de mon style ; et à ce propos, j'étais qualifié, intitulé de ce qu'on appelait ma qualité de “professeur” que je n'ai certainement pas, et à l'École Normale, encore moins.

Si c'était en raison de cette confusion ; mais cet article en marquait par ailleurs bien d'autres, confusions, articulant ainsi mon enseignement, en fonction de je ne sais quoi qui en aurait fait un commentaire de de Saussure, ce qu'il n'a jamais été. J'ai pris de Saussure, comme on s'empare d'un instrument, d'un appareil, et à l'usage de bien d'autres fins, celles du champ que je désignais tout à l'heure.

Qu'à ce propos il ait été fait état de je ne sais quoi qui ne se serait articulé de rien d'autre que du fait que je l'aurais lu, comme on dit, “en diagonale”, montre simplement, chez la personne qui avait écrit cet article, une surprenante ignorance des usages que peut avoir ce mot de "diagonale".

Car, s'il est tout à fait clair que je n'ai pas lu de Saussure en diagonale, au sens où je lis les articles du Monde qui sont faits pour ça, en diagonale, (les cours de de Saussure : certainement pas !) il est d'autre part une méthode, dite “diagonale”, qui est bien connue en mathématiques pour sa fécondité, à savoir : pour révéler que, de toute sériation qui se prétend exhaustive, on peut, par la méthode diagonale, extraire quelque autre entité qu'elle n'enserre pas dans sa série. En ce sens, j'accepterais assez volontiers d'avoir fait de de Saussure un usage diagonal.

Mais qu'à partir de là, c'est-à-dire, de ce qui procède d'un manque de critique, on fasse état d'une inadvertance (pour être bienveillant) qui aille tout à fait au-delà de ce manque de critique, et encore pour y trouver matière à considérer que quelque tierce instance puisse y voir la justification d'une mesure de précaution, alors qu'il suffirait de faire remarquer que ce n'est rien d'autre qu'une inadvertance, et de la part de quelqu'un qui en fait preuve assez, dans le reste de son texte, il y a là évidemment quelque chose d'assez singulier.

Cela suggère en fin de compte ceci, que l'on pourrait énoncer que la discussion sur le savoir est exclue de l'Université, puisqu'on peut admettre que, si quelqu'un qui manifestement se trompe sur un point, peut sur un autre avancer une qualification inexacte, cela à soi tout seul justifie qu'on ne trouve pas d'autre mesure, pour rectifier cette qualification inexacte, que de faire remarquer à la personne (sur laquelle elle porte)24 , qu'il ne saurait y avoir de confusion, conclusion qu'à l'instant j'indique et qui mérite (en l'occurrence)25 d'être tirée.

J'en resterai là, aujourd'hui, vous laissant en suspens sur le fait de pouvoir en dire plus ; je vous donne expressément rendez-vous, donc, à la prochaine fois, qui sera mon prochain séminaire où, en admettant qu'il soit, en tout cas pour cette année, le dernier, je crois pouvoir vous promettre que je vous distribuerai un certain nombre de petits papiers que j'ai dans cette serviette, déjà préparés à votre intention, et qui, au cas où cet accent dernier se trouverait se renforcer de la suite, marqueront au moins quelque chose, qui, bien entendu, ne sera pas un diplôme, mais un petit signe qui vous restera de votre présence ici cette année.

(séance 24 du 18 juin 69)

Je vous ai parlé de l'homme-elle ; est-ce que tout ne converge pas vers elle, cette homme-elle qui est à la fois le maître et le savoir, qui parle et qui profère ?

Si vous voulez en avoir une image, allez voir un truc ; mais entrez au bon moment, comme j'ai fait. C'est un film détestable, qui s'appelle “If”, ma parole, Dieu sait pourquoi. C'est l'Université anglaise étalée sous ses formes les plus séductrices, celles qui conviennent bien à tout ce qu'a su (en effet, rien de plus) articuler la psychanalyse sur ce qu'il en est de la société des hommes, une société, au sens de tout à l'heure, une société d'homosexuels.

Là, vous le verrez, l'homme-elle, c'est la femme du recteur : elle est d'une ignominie ravissante, vraiment exemplaire. Mais la trouvaille, c'est le moment - je dois dire que c'est le seul trait de génie de ce film - où il la fait venir se promener toute seule, et nue, parmi les bassines du savoir - et dieu sait s'il y en a ! -, à la cuisine. Bien sûr qu'elle est nue, d'être la reine chez elle, tandis que tout le petit bordel homosexuel est dans la cour, en train de défiler pour la préparation militaire…

Alors, vous commencez peut-être à voir ce que je veux dire : l'homme-elle, l'alma mater, c'est l'Université, autrement dit, l'endroit où d'avoir pratiqué un certain nombre de manigances autour du savoir vous donne une institution stable, sous la houlette d'une épouse. Voilà la vraie figure de l'Université.

Alors, nous pourrons peut-être identifier assez aisément ce que représente, ici, l'objet a : les pupilles, les chers mignons pris en charge, eux-mêmes création des désirs des parents. Enfin, c'est ce qu'on leur demande de mettre en jeu, la façon dont ils sont sortis des désirs des parents.

Et la mise, c'est ce Sl qu'il conviendrait d'identifier à ce quelque chose qui arrive autour de ce qu'on appelle l'insurrection étudiante : il semblerait qu'il soit très important qu'ils acceptent d'entrer dans le jeu. À la façon dont ils disputent sur le sujet de ce qui se débite à la fin, à savoir : un parchemin, disons, ça a peut-être bien quelque rapport avec ce S1. Si vous ne rentrez pas dans le jeu, vous n'aurez pas de diplôme cette année. Voilà, mon Dieu, un petit système qui permet en tout cas une approximation du sens de ces choses où on ne se retrouve guère, concernant ce qui se passe maintenant dans certains lieux.

Je ne prétends en apporter nulle clé historique. Ce que j'énonce, c'est que le refus du jeu, ça n'a de sens que si la question est centrée autour de quoi l'analyse porte la question, à savoir : ce qui s'appelle rapport du savoir et du sujet. Quels sont les effets de sujet, ou de sujétion du savoir ?

L'étudiant n'a aucune vocation pour la révolte. Vous pouvez en croire quelqu'un qui, pour des raisons historiques, est entré dans le champ de l'Université, à savoir, très précisément de ce qu'il n'y avait rien à faire, avec les psychanalystes, pour leur faire savoir quoi que ce soit.

Alors, petit espoir que, par effet de réflexion, le champ de l'Université aurait pu les faire raisonner autrement : En somme, une caisse de résonance pour le tambour, quand lui-même il ne résonne pas, c'est le cas de le dire.

Alors, les étudiants, vous comprenez, moi, j'en ai vu pendant des années : les étudiants, c'est une position tout à fait normalement servile. Et puis, ne vous imaginez pas que, parce que vous avez pris la parole dans des petits coins, l'affaire est résolue. Les étudiants, pour tout dire, continuent de croire au professeur.

Maintenant, sur ce qu'il faut penser, dans tel ou tel cas, de ce qu'ils disent, il n'y a aucun doute : au niveau de l'étudiant, l'opinion est établie, dans tel ou tel cas, que ça ne vaut pas cher ; mais c'est quand même le professeur, c'est-à-dire, qu'on attend quand même de lui ce qui est au niveau de Sl, ce qui va faire de vous un maître sur le papier, un tigre de papier.

Moi, des étudiants, j'en ai vu qui sont venus me dire : “vous savez, Untel, c'est scandaleux, son bouquin, c'est copié sur votre séminaire !” Ça, c'est les étudiants. Moi, je vais vous le dire, ce bouquin-là, je ne l'ai même pas ouvert, parce que je savais d'avance qu'il n'y avait dedans que ça ! Ils sont venus me le dire, à moi ? Mais de l'écrire, c'est une autre affaire : ça, c'est parce qu'ils étaient étudiants.

Bon, alors, qu'est-ce qui a bien pu arriver, pour que tout d'un coup, il y avait ce mouvement d'insurrection. C'est ce qu'on appelle une révolte, Sire ! Pour que ça devienne une révolution, qu'est-ce qu'il faudrait ? Il faudrait que la question soit attaquée, non pas au niveau de quelques chatouillages faits aux professeurs, mais au niveau des rapports de l'étudiant, comme sujet, au savoir.

(séance 25 du 25 juin 69)

Voilà. Est-ce que vous croyez que je vais continuer longtemps comme ça, hein ? Et, sous prétexte que c'est aujourd'hui ma dernière classe, continuer à vous raconter des trucs, pour qu'à la fin, vous applaudissiez, pour une fois, parce que vous savez qu'après ça, à la gare, hein, je m'en vais.

Le discours dont je parle n'a pas besoin de ces terminaisons glorieuses. Ce n'est pas une “oratio” classique ; et en effet, il déplaît, ce discours, à l'oraison classique, à un monsieur, qui est ici le directeur administratif de cet établissement privilégié à l'endroit de l'Université.

Il semblerait que de ce fait le dit établissement devrait répondre à quelque contrôle sur ce qui se passe à l'intérieur ; il ne semble pas qu'il en soit rien, puisqu'il est, paraît-il, en droit, après m'avoir accueilli sur la demande d'un des endroits de l'École, comme ça, à titre hospitalier, il est en droit de me dire que… ça suffit comme ça !

Moi, je suis d'accord, je suis tout à fait d'accord ; parce que d'abord, c'est vrai, je ne suis ici qu'à titre hospitalier, et qu'en plus, il a de très bonnes raisons, que je connais depuis longtemps : c'est que mon enseignement lui paraît très exactement ce qu'il est, à savoir : anti-universitaire, au sens où je viens de le définir.

Il a pourtant mis très longtemps à me le dire ; il ne me l'a dit que tout récemment ; à l'occasion d'un dernier petit coup de téléphone que j'ai cru pouvoir lui donner, parce qu'il y avait, je pense, une espèce de malentendu que je voulais absolument dissiper, avant de lui dire : “Bien sûr, il n'est pas question que… etc.…”

C'est très curieux que là, il ait lâché le morceau, à savoir, qu'il m'ait dit que c'était pour ça. “Vous, me dit-il, vous avez un enseignement très dans le vent”. Vous voyez ça, le vent… J'aurais cru que j'allais, ici, contre le vent. Mais qu'importe !

Bon, alors, que, vis-à-vis de moi, il soit en droit, je n'ai absolument pas, moi, à en douter ; mais vis-à-vis de vous, cela pourrait être autre chose. Mais vous, ça, ça vous regarde. Que, depuis six ans, il y en ait un certain nombre qui aient l'habitude de venir justement ici, voilà, ça ne compte pas, on vous évacue !

C'est même très expressément de cela dont il s'agit. À cet égard, vous comprenez, moi, j'ai des excuses à vous faire. Non pas parce qu'on vous évacue : je n'y suis pour rien ; mais j'aurais pu vous avertir plus tôt. J'ai un petit papier, là, que j'ai reçu exprès, et que j'ai depuis le 19 mars.

Le 19 mars, c'est marrant, parce que ce jour-là, je ne vous ai pas fait de séminaire. J'ai essayé par tous les moyens depuis, parce que j'avais la flemme ; et puis vous comprenez, moi, ça ne m'émeut pas de vous faire un discours pour la dernière fois ; parce que, chaque fois que je viens ici, je vous le dis, je me dis que peut-être, enfin, ça va être la dernière fois.

Alors, un jour où je m'interrogeais, où je vous interrogeais sur cette affluence qui est la vôtre, je ne peux même pas dire que c'est en rentrant chez moi, c'est le lendemain matin que j'ai reçu le petit papier que je vais vous lire.

Je ne vous en ai pas fait part, parce que je me suis dit : si, par hasard, ça les agitait, alors, quelle complication ! Moi, vous comprenez, j'ai déjà été une fois dans un état pareil pendant deux ans. Il y avait des gens qui s'employaient à me liquider ; je les ai laissés continuer leur petit travail, pour que mon séminaire se continue, je veux dire que je sois entendu, au niveau où j'avais à dire certaines choses.

C'est la même chose pour cette année ; moyennant quoi, donc, j'ai reçu ça le 20 Mars ; et c'est daté du 18 Mars. Il n'y a donc pas de rapport. J'ai même conservé l'enveloppe ; je l'avais déchirée, je l'ai ramassée ; et elle est bien tamponnée du 18. Vous voyez, la confiance règne.

Dr. Lacan, 5 rue de Lille - comme certains savent - Paris VII

“Docteur,

À la demande de la 6e section de l'École Pratique des Hautes Études, l'École Normale a mis une salle à votre disposition pour y faire cours pendant plus de cinq ans.

La réorganisation des études à l'École, qui est une conséquence de la réforme générale des universités (rires)26 et de la récente loi d'orientation de l'enseignement supérieur, ainsi que le développement des enseignements dans plusieurs disciplines, vont nous rendre impossible à partir d'octobre 69 le prêt de la salle Dussane, ou de toute autre salle de l'École (rires)27, pour votre cours.

Je vous préviens suffisamment à temps (ça c'est vrai !), pour que vous puissiez envisager dès maintenant le transfert de votre cours dans un autre établissement à la rentrée de la prochaine année scolaire 1969-70”.

Moi, ça me plaît beaucoup, ce truc-là ; ça me plaît beaucoup. Tout ça est correct historiquement. C'était, en effet, ici à la demande de la 6e section de L'École Pratique des Hautes Études, comme ça, à la suite d'une transmission de dette personnelle, qu'on avait… Enfin, il y avait un homme éminent, qui s'appelait Lucien Fèbvre, qui a eu, on ne peut pas dire l'idée (il n'y est pour rien) fâcheuse de mourir, avant d'avoir pu me donner ce qu'il m'avait, à moi, promis, à savoir : une place dans cette École.

D'autres avaient recueilli cette dette, comme ça, personnelle. C'est très féodal, l'Université. Ça se passe encore comme ça ; on est bien, vous savez, dans l'Université, du côté homme-lige ; l'homme-lige, l'homme-elle, tout ça, ça se tient.

Donc, c'est à ce titre, c'est à la demande, comme on dit, que j'étais là. Bon alors, ça me plaît bien que ce soit là pointé. Ça ne me déplaît pas, vous comprenez, que la réforme (rires)28 soit là la raison mise en avant.

Vous comprenez, je ne suis pas complètement un bébé ; je sais bien qu'à midi et demi, le mercredi, la salle Dussane, qui est-ce qui en voudrait ? On s'est donné une peine pour faire fonctionner l'acoustique dans cette salle.

À propos, il y a des personnes, là, je vais vous dire, auxquelles j'ai distribué, quand même, ce que vous venez d'entendre, j'ai trouvé que ça valait la peine de le photocopier en un nombre d'exemplaires, j'espère suffisant pour mes auditeurs d'aujourd'hui. Les personnes à qui j'ai confié ces dossiers vont vous les distribuer. Je vous en prie, n'en prenez chacun qu'un.

Je vous en prie, n'en prenez chacun qu'un. En plus, ça sera on ne sait pas quoi. C'est S1, vous comprenez. Vous serez tous liés par quelque chose ; vous saurez que vous avez été là le 25/6/69, et qu'il y avait même une chance pour que le fait que vous soyez là ce jour-là témoigne que vous y étiez toute cette année-là. C'est un diplôme ! (Applaudissements)29.

On ne sait pas, ça peut nous servir à nous retrouver, parce que, qui sait, si moi, je disparais dans la nature, et qu'un jour je revienne, ce sera un signe de reconnaissance, un symbole ! (rires)30. Je peux très bien dire un jour que toute personne pourra entrer dans telle salle, pour une communication confidentielle sur le sujet des fonctions de la psychanalyse dans le registre politique…

Car on s'interroge là-dessus, vous n'imaginez pas à quel point. C'est vrai dans le fond qu'il y a là une véritable question, dont, un jour, qui sait, les psychanalystes, voire l'Université, pourraient avoir avantage à prendre quelque idée.

Je serais assez porté à dire que, si jamais c'était à moi qu'on demande d'en avancer quelque chose, je vous donnerai rendez-vous dans cette salle (rires)31 , pour que vous ayiez un dernier cours de cette année, celui que vous n'avez pas, en somme, parce que tout à l'heure, je me suis arrêté ; je me suis arrêté pour ne pas faire une dernière classe : ça ne m'amuse pas.

Alors, vous avez donc ce petit objet en main ; ça fait 300, quand même, 300 évacués ! Puisqu'on est maintenant comme ça, il faut que je vous quitte quand même, pour vous laisser un petit temps entre vous - ça ne serait pas mal -, parce que, quand je suis là, rien ne sort. Qui sait, vous pourriez bien avoir des choses à vous dire.

Mais enfin, on croirait à peine que, vos habitudes de fumer par exemple ; on sait bien : vous voyez, ça joue un rôle, tout ça ! Et puis, il y a les agents de l'intendance aussi, (parce que vous savez, dans une affaire comme ça, personne n'y manque) : les agents de l'intendance ont dit que je recevais un drôle de monde (rires)32. Tel quel !

Il paraît même qu'on aurait dû réparer des fauteuils. Il est arrivé quelque chose ! “Jean-Jacques Lebel, ce n'est pas vous qui étiez ici avec une scie à ruban ? De temps en temps, on entend un petit bruit : vous devez scier les bras du fauteuil. On en apprend tous les jours…

Avec ce truc-là, quand je vais vous dire bonsoir, à l'instant, vous allez pouvoir vous éventer. L'odeur de ce qu'il y a dessus se substituera à celle de la fumée. Ce qui serait bien, voyez-vous, c'est que vous donniez à ça le seul sort que ça puisse avoir, et qui soit véritablement digne de ce que c'est : un sort signifiant.

Vous allez trouver un sens à ce mot : “La Flacelière”. Moi, je mets ça au féminin, comme ça. Je ne dirai pas que c'est un penchant, mais ça sonne plutôt féminin : la cordelière, ou la flatulencelière. Si ça passait dans l'usage courant : “Est-ce que tu me prends pour une flacelière ?” (rires)33. Ça peut servir dans les temps qui courent ! Ne tire pas trop sur la flacelière…

Je vous laisse à trouver ça. Moi, je vous ai toujours enseigné que c'est les signifiants qui créent les signifiés. Ça m'a fait un peu rêver. Je me suis aperçu d'un tas de choses, en particulier, de la complète ignorance d'un certain usage du papier, qui, évidemment, n'a pu se produire qu'à partir du moment où il y en avait, du papier. Avant, on ne faisait pas ça avec un parchemin ni avec un papyrus !

On ne sait pas à quelle date. J'ai téléphoné aux maisons-mères, si j'ose dire ; on ne sait pas, cet usage du papier, quand il a commencé. En moins de deux, sans doute, puisque c'est une question que je ne me suis posée qu'à propos du chapitre XIII de Gargantua. Quelqu'un pourra peut-être m'informer sur ce sujet. Enfin, ne vous en servez pas pour ça : je ne vous en donne qu'un à chacun, je ne vous en donne pas un paquet.

Mes chers amis, là-dessus, je vais vous laisser. Je vous fais remarquer que ces papiers sont signés. Signés ? Naturellement, je n'allais pas mettre ma signature sur le dos de ce papier ; mais j'ai mis la date. Sur 151 exemplaires, cette date est de ma main. Sur les 150 autres, elle est de la main de ma fidèle secrétaire, Gloria, qui a bien voulu se substituer à moi. Vous savez, ça donne une crampe, d'écrire 151 fois 25.6.69, ça a beau être très graphique. J'en ai quand même pris la peine.

Là-dessus, si vous avez quelques réflexions à vous faire entre vous, ou quelque message à me faire parvenir, je vous laisse aux mains de la fidèle Gloria, qui va recueillir à l'occasion ces messages. Toute personne qui voudra opiner de quelque façon qui pourra lui paraître opportune, a encore largement vingt minutes pour le faire. Quant à moi, je vous dis adieu, en vous remerciant de votre fidélité. (vifs applaudissements)34.

(séance 25 du 25 juin, pour finir)

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  • 24.

    Ajout du réalisateur

  • 25.

    Ajout du réalisateur

  • 26.

    Note du réalisateur

  • 27.

    Note du réalisateur

  • 28.

    Note du réalisateur

  • 29.

    Note du réalisateur

  • 30.

    Note du réalisateur

  • 31.

    Note du réalisateur

  • 32.

    Note du réalisateur

  • 33.

    Note du réalisateur

  • 34.

    Note du réalisateur