À propos du colloque Inserm 30 mai 2007

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À propos du colloque Inserm 30 mai 2007 par Marie-Hélène Bigot

À propos du colloque de l'Inserm du 30 mai 2007 Je rendrai compte ici de certains points exposés lors du colloque Inserm du 30 mai 2007 : "la méthodologie en psychiatrie et santé mentale ". Mon travail ne concernera bien sûr que les exposés...

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À propos du colloque de l'Inserm du 30 mai 2007

Je rendrai compte ici de certains points exposés lors du colloque Inserm du 30 mai 2007 : "la méthodologie en psychiatrie et santé mentale ". Mon travail ne concernera bien sûr que les exposés auxquels j’ai assisté, il restera donc partiel. Je commenterai certains des thèmes qui ont été abordés.

Ce colloque nous était présenté comme une réponse aux questions qui avaient surgi en novembre 2006 lors de la précédente journée, sur le trouble des conduites. Ainsi que l'intitulé le laissait entendre, il a beaucoup été question de méthodes, et uniquement dans le cadre de l'évaluation.

M. J.-P. Lépine a traité des méthodes d'évaluation des psychotropes. Il souhaitait convaincre de l'utilité de ces recherches "en milieu humain " et de l'intérêt d'un financement par des agences publiques ou des partenariats. L'efficacité était l'un des maîtres mots de la journée et M. Lépine a cherché à en démultiplier l'effet en distinguant "l'efficacy ", du côté du médicament, "l'effectiveness", en lien avec les conditions de prescription et "l'efficiency ", rapportée au temps et aux coûts.

Si cet abord paraît vouloir dire quelque chose de cette efficacité tant mise en en avant, il laisse dans l’ombre un certain nombre de questions :

quelle place le médicament vient-il occuper au regard de considérations sur l’humain, quelle place tient-il dans le cadre de l’abord et du traitement de pathologies psychiatriques ? comment considère-t-il le champ de la recherche, soit par conséquent, quels sont les points pris en considération pour formuler des hypothèses ?

Lors de la prise de parole qui a suivi, une personne a fait mention de l’étude récente de la MGEN dans les écoles de Paris et a interrogé les résultats attendus d’une telle enquête. Il a été répondu qu’il n’y en aurait pas puisqu’elle avait été stoppée.

Marie-Josée Del Volgo, est venue questionner la place du psychiatre à partir de ce qui avait été dit, tant au début de ce colloque que lors du précédent :

Peut-il encore effectuer un travail qui prenne appui sur le cas par cas, ou lui faudrait-il considérer ce qui a été fait auparavant comme non scientifique, et pour cela l’invalider et entrer dans des méthodologies codifiées ? Elle a attiré l'attention sur cette exigence d’évaluation et interrogé les méthodes d’évaluation des chercheurs et des recherches proposées ici par l’Inserm.

M. Lépine a répondu vivement. Il s’est référé aux associations de malades mentaux pour donner consistance aux questions qui peuvent se poser et y a rapporté le rôle des chercheurs : il s’agirait pour eux de leur donner réponse.

Il s’agit bien sûr d’apporter des réponses, mais lesquelles et à partir de quoi ?

Le cadre de la recherche nous paraît prendre son départ dans un au-delà, et non dans cette seule articulation.

D’où l’intérêt de l’intervention de M.-J. Del Volgo, qui faisait part de l’existence d’autres modes de travail, issus de la prise en compte d’autres présupposés : singularité du cas, subjectivité, relation transférentielle, travail au cas par cas. Si l’on s’appuie sur les pistes de recherche évoquées par M. Lépine, il ne considérerait, pour sa part, que le point de vue physiopathologique : génétique, neurogénétique, recherches de phénotypes.

Sur le thème de la neuro-imagerie, M. Martinot a développé un exposé où intervenaient force coupes de cerveau, tomographies, IRM et mesures biochimiques. Il a été question de calculs de volumétrie, de quantification de matière blanche, de variations biochimiques… un appareillage qui nous est apparu lourd et complexe au regard de certains des résultats proposés.

Utilisé par exemple dans le cadre de travaux sur l’alcoolisme il permet de faire le constat d’une diminution précoce et rapide des fibres blanches, dans un travail à visée différentielle entre retard mental et autisme, il obtient certains résultats.

On entend l'intérêt qu’il peut y avoir à mieux saisir l'incidence de pathologies ou de facteurs externes sur le corps mais s’agit-il seulement d’aboutir à une politique de prévention mieux ciblée ? à un repérage plus précoce ? de dispenser des conseils mieux adaptés ?

Il s’agit, plus clairement, de toute autre chose quand M. Martinot annonce que les « déficits » enregistrés (soit les variations relevées), varient « selon les types de dépression », ou que « l’index de gyrification » serait moindre en cas de prodrome de psychose. Il s’agit, même si cela n’a été ni annoncé ni développé, d’une tentative de localisation dans le corps de manifestations tenues pour pathologiques, dépressions, psychoses ou autres. Sur ce point il nous a seulement été dit « qu'il ne s'agit pas de faire simple », soit que les résultats peuvent varier selon les types de dépression repérés, mais cela ne suffit pas pour ne pas être réducteur. Il faudrait entrer dans un discours qui expose et interroge les hypothèses et les critères retenus, les résultats et les interprétations considérés.

Faute de précision, nous sommes amenés à référer ces différents « types de dépression » aux descriptions du DSM ou de la CIM, et à faire appel à une note relative aux troubles de l’humeur que l’on peut y trouver qui précise : « les opinions concernant la classification de ces troubles divergeront tant que la subdivision des symptômes cliniques reposera uniquement sur des manifestations émotionnelles ou comportementales et non sur des arguments physiologiques ou biochimiques » (CIM, page 11).Considérer que les « types de dépression » décrits sont la transcription d’un réel biologique, croire que ce réel puisse aussi rendre compte de l’expression, de la raison d’être des dépressions, de l’humeur chez l’humain, soit situer le fait psychiatrique dans des comportements et un corps biologique, n’est ce pas là, non seulement entretenir une relation à la vérité, comme Lacan pose que le fait la science, mais venir s’y résorber ?

Ce « nouveau regard » de M. Martinot « sur les affections psychiques », rabat la dimension de l’humain sur « la lecture d’une IRM » et la recherche de traces matérielles entendues comme essentielles (1). A sens unique, ce regard fait fi des dimensions du symbolique, de l’imaginaire et du réel où Lacan inscrit la réalité des sujets humains.

Les interventions se sont cantonnées pour la plupart à l’exposé de démarches et de résultats sans faire montre de modèles théoriques.

Faut-il penser que « l’efficacité », référence de William James avec ses idées « ni vraies ni fausses » mais « utiles ou non », conduirait les scientifiques à ne plus proposer de modèles parce qu’ils atteindraient au réel ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’un artifice, les théories étant passées sous silence, le titre proposé venant restreindre le cadre intéressé ?

La notion d’efficacité s’inscrit dans une temporalité, dans une contingence. Elle répond aussi d’une exigence et impliquerait de viser au plus près, de rendre compte des données et relations mises en jeu, ici chez, et par un humain vivant et sa dimension « psy ». La notion « d’efficace » n’entre pas toutefois en contradiction avec la notion de modèle, elle exige même que leur construction ne cesse pas de se renouveler.

L’intervention de Lucia Valmaggia a été faite en anglais, sans traduction. Elle a exposé le fonctionnement d’un centre qu'elle coordonne au sein d'un programme dit " OASIS " à Londres (2). On s’y propose d’éviter l’apparition ou de réduire l’impact de la répétition d'épisodes psychotiques chez de jeunes adultes.

Il faut préciser qu’il est dommage que, très souvent, la discussion après les différentes interventions ait été réduite à 1 ou 2 questions. Plus encore, dans le cas qui nous occupe, la partie consacrée à la discussion des résultats ne nous a pas été communiquée en entier et ce qui l’a été l’était très sommairement.

On vise ici à obtenir au cours des premiers entretiens des réponses portant sur des points dits « non spécifiques », relativement s’entend, à une pathologie schizophrénique. Certains d’entre eux sont cependant considérés comme possibles symptômes "émergents " de psychose, et leur sommation détermine le repérage de certains sujets et leur entrée dans le programme pour une durée de 2 ans s’ils satisfont aux critères et s’ils acceptent de rester.

Nous avons noté que l'entrée dans l’étude impliquait la passation d'un nombre important d'examens, de tests et d’évaluations, qu’un antipsychotique était administré à des doses non thérapeutiques, et que des rencontres avec un (des ? psychologue(s) avaient lieu pour 66 % d’entre eux.

Il a été dit que la capacité « d’insight » était détériorée chez les personnes repérées « à risque » d’entrer dans la psychose, mais rien n’a été dit sur les significations possibles de tels résultats.

Nous nous posons des questions sur le dispositif lui-même :

Comment les effets du programme lui-même ont-ils été pris en compte ?

Les sujets dits « à risque » étaient-ils avertis du but que se donnait cette recherche ? Les examens pratiqués ont été dits par Mme Valmaggia "non intrusifs ", mais que sait-on de la portée qu’ils peuvent avoir ? Quel est l’effet d’une prise d’anti-psychotique à dose non thérapeutique, administrée en amont d’éléments signant la présence d’une psychose ?

Que devenaient ceux qui n’entraient pas dans l’étude du fait de signes patents d’entrée dans la psychose, de ceux qui n’entraient pas dans les critères de sélection du programme ? Quid également du groupe témoin, dont nous n’avons pas entendu parler, mais qui nous semble devoir exister pour satisfaire à la logique d’une telle étude ?

Comment définir cette étude : s’agissait-il d’une étude sur la prévention, visant à apporter un soutien, ou d’une étude in vivo visant à obtenir des données ? Sur quelle base considérer qu’elle ait pu permettre une réduction des risques d’apparition et/ou de récidive de psychose ? Les questions auraient donc pu être nombreuses.

L’intervention psychologique était connotée « CBT », pour « cognitive behavior therapy », mais rien n’a été dit sur ce choix, ses objectifs, son cadre et ses résultats. La parole de ces patients manquait elle aussi.

Mme Viviane Kovess nous a parlé de mesure des troubles externalisés chez l’enfant, soit de batteries de tests proposés à l’adresse des enfants, mais aussi des parents, des enseignants.

Il s’agissait uniquement de commentaires de résultats statistiques, référés à des diagnostics DSM, même si elle a pu dire que "laisser une personne s'exprimer avec ses propres mots est important ".

Quelle lecture Mme Kovess fait-elle de ces données ?

Elle nous dit les TOP1 diminueraient avec l'âge, mais on entend que, selon la logique DSM, le trouble des conduites prend ensuite le relais. La façon dont elle parle de la présence conjointe de troubles dépressifs, anxieux, ou encore de l'usage de substances peut inquiéter :

" multiplication des risques ", effets " mutuellement renforçateurs ", et repérage des condamnations, soit dans ce dernier cas passage du psychiatrique au judiciaire, ainsi que Jean-François Cottes l'a fait remarquer.

Elle affirme ne pas confondre ces calculs de liens avec une causalité, mais ils s’offrent pourtant à l’interprétation. Les termes employés sont livrés sans expliquer leurs limites au sein des études effectuées, et ils retiennent l’attention. Il ne suffit donc pas que des résultats soient jugés significatifs, selon le terme statistique consacré, il s’agit aussi d’émettre un questionnement sur leur sens.

Mme Kovess nous dit que ces recherches n'ont pas « un tel impact sur la société ou sur le politique », mais on peut reprendre sa phrase sous une forme interrogative, et se demander quel impact elles peuvent avoir, lorsqu’elles délivrent ces interprétations, sans informer sur les limites de leur signification dans le cadre d’échantillons à visée statistique qui est le leur, ni sur les limites de ces résultats quand ils sont transposés à cet autre niveau qu’est le social ou le politique.

Ce rapprochement des études statistiques et du politique n’est pas sans rappeler un travail effectué sous l’autorité de Frederick Wines aux Etats Unis, constitué d’après les données du recensement de 1880, intitulé : « Rapport sur les classes déficientes, dépendantes et délinquantes… d’après le 10ème recensement » (3)

Utilisant le recensement comme source d’informations, Wines et ses collaborateurs avaient sélectionné des variables : le sexe, l’âge, la race, l’origine géographique et le statut marital de ces personnes dites « dépendantes », soit celles qu’ils croyaient pouvoir informer sur le sujet qui les intéressait, et effectué un travail à visée statistique.

A aucun moment, pas plus alors que maintenant, le thème choisi et les variables sélectionnées ne peuvent prétendre à l’indépendance. Ils sont à rapporter au contexte, aux auteurs et à leurs interprétations.

D. Deprins, professeur de probabilités et de statistiques, parlait dans une intervention du risque pour les statistiques d’être considérées par l’homme moderne comme ce qui pourrait donner le « dernier mot » (4).

Au devant de ce qui dysfonctionne, de l’incertain, disait-elle, « l’homme moderne cherche des réponses ». Il vise à localiser ce qui l’inquiète et peut croire l’avoir trouvé dans les chiffres. Les chiffres peuvent plaire, qui offrent, sinon une réponse exempte de questionnement, du moins une mesure où l’on croit pouvoir « poser les pieds », qui permettrait enfin de quitter cette zone d’incertitude et donc de turbulence.

Pourtant le cadre des définitions, les résultats, doivent être rapportés aux présupposés auxquels ils sont subordonnés pour ne pas réduire le jugement et l’acte à un simple « feed-back », à une réponse quasi réflexe donnée après la seule écoute ou lecture des résultats exposés.

Il a été dit au cours de cette intervention que l’on visait à « la constitution d’un savoir ». On ne peut dans ce cas s’exonérer de considérations sur le corpus ainsi constitué, ni sur les effets qu’il est susceptible d’induire.

Les vues de F. H. Wines étaient considérées au niveau national et n’ont donc pas été sans impact sur le travail social qui commençait alors. Les résultats des enquêtes d’aujourd’hui sont exposés et commentés dans des lieux publics (5) où ils peuvent aussi être suivis d’effets sur la vie des citoyens. Il paraît donc important de réfléchir sur ce qui est véhiculé et son impact.

David Cohen entendait pour sa part situer la genèse des troubles dits "externalisés" du côté du génétique, et les placer sous l'autorité du "cognitif " et non de la clinique. L'environnement, seul autre facteur mentionné, n'était plus dans ce cadre que le révélateur d'une fragilité déjà inscrite, pré-déterminée.

Après le passage en revue d'études et de théories de la littérature " scientifique " sur la question, M. Cohen a conclu par l’exposé de facteurs qui seraient propices à l'apparition de ces troubles : maltraitance, dépression maternelle, appartenance à une bande.

Cette perspective a été dite " intégrative " et présentée sous l'angle " d'un développement participant au développement lui-même ".

C'est vouloir faire oublier que les liens introduits concluent ici à un effet direct, simple ou combiné de facteurs internes et externes, retenus avant toute chose par les auteurs de ces études de cohortes. L'existence d'une fragilité génétique est tenue ici pour certaine, même s'il est dit que tout cela n'est que probabilité, parce que toute autre démarche explicative est exclue.

Cela ne nous apprend rien sur ce que pourrait en dire un sujet, cette perspective reste inexistante.

Pourquoi ne pas penser à la notion de « consensus fabriqué », développée par Anne Duponloup dans sa thèse « L’hyperactivité infantile, Analyse sociologique d’une controverse médicale » ? (6)

Quand des critères peuvent être dits « suffisamment partagés pour être considérés comme des évidences intouchables », quand « la complexité des problèmes » se trouve amputée, passée sous silence ?

Que le biologique existe et ait sa part dans certaines pathologies, nous n’en doutons pas, mais faire intervenir le grand nombre (de ces études) pour tenter de valider la thèse génétique avec la complicité de l’environnement apparaissait comme un tour de passe-passe et ne pouvait convaincre.

Le nombre ne peut prétendre se substituer, recouvrir le questionnement, ni prétendre faire disparaître d’autres hypothèses.

Ainsi que nous l’avons fait valoir précédemment, et comme le remarque également Anne Lovell, les « définitions et les délimitations de frontières » jouent un rôle primordial dans l’expression des résultats, et l’on sait « l’absence de critères de validité extérieurs et absolus »(7)

Là encore, cet abord tendait à rapporter le champ de manifestations qui peuvent poser problème, aux seules interventions d’hormones, de circuits, présents ou non, activés ou pas, trop ou pas assez, avec pour seul tiers avec un environnement tenu en laisse.

Automatisme, déterminisme, disparition du sujet.

Ceci recouvre assez bien, me semble-t-il, ce que disait M. Falissard lors d’un séminaire récent à Sainte Anne : nous serions des êtres “pensants et ignorants” de ce qui nous détermine, et notre liberté ne consisterait dans ce cas qu’à “accepter notre détermination” (8)

Il y a là réduction, confusion entre un sujet et un corps biologique adossé à l’idée d’un destin. Il y a là éviction d’une capacité à pouvoir s’inscrire d’ailleurs que du déterminé ou de la prédiction. Les éléments cités : maltraitance, dépression maternelle, appartenance à une bande… sont rabattus sur un environnement enchaîné au génétique. Il n’est fait aucune mention de relation à la mère, du désir et de ses aléas.

Des perspectives socio-anthropologiques ont été développées par Anne Lovell. Elles ont permis d’ouvrir un peu sur une complexité. Elles ont pointé la mise hors jeu de certains éléments, toujours situés au niveau de l'environnement, de phénomènes sociaux.

Elle a aussi attiré l'attention sur le fait que certains patients peuvent refuser de fréquenter des lieux connotés « Santé Mentale », dont la signification est vécue par eux comme stigmatisante, et leur préférer des lieux plus neutres.

Certains points de vue ont retenu notre attention, ainsi quand elle dit que « tout problème de Santé Mentale est un trouble de la relation » ou que « la nature est brouillée », ou encore que des facteurs restent extérieurs au champ pris en compte par ces méthodes.

La question de la nature de la nature, vaste question, n’a pas été interrogée plus avant. La nature est-elle brouillée, ou l’homme dénature-t-il la nature ?

Il faut souligner qu'Anne Lovell n'est pas extérieure au cadre de l'Inserm. Elle a donc parlé ensuite d'évaluation, de mise en place d'autres méthodes, d'autres modèles, pour déterminer l'implication, le poids de ces autres logiques sous-jacentes.

Les expertises précédentes auraient, selon ses dires, si nous l’avons bien entendue, « listé tous les problèmes qui touchent aux données cliniques », seules les conclusions et recommandations ne les auraient pas prises en compte. Tout aurait-il été dit, et par les experts de l’Inserm ? Le consensus n’aurait-il plus qu’à advenir sous peu ? On peut en douter.Il me paraît néanmoins tout à fait important que Mme Lovell ait mis l’accent sur l’exclusion de certains facteurs dans les études jusqu’alors présentées, bien qu’ils ne soient pas, bien sûr, seulement sociologiques, et que la démarche de recherche ne doive pas se borner à rajouter quelques facteurs mais prenne soin d’accéder à un questionnement méthodologique et conceptuel.

Avec son exposé, M. Falissard entendait introduire de la subjectivité dans la mesure. Selon lui, les détracteurs d'une telle entreprise seraient des réfractaires du chiffrage, des inhibés, quelque chose leur ferait refuser les chiffres.

Chacun sachant ce qu'est la tristesse, cet axiome étant posé, M. Falissard démontre qu'il est possible d'en mesurer l'impact, et ceci sans pour autant interroger les concepts de tristesse ou de mesure. Il s'agit de mesurer, et cela en vue d'un " se sentir mieux ". Qu'il puisse exister d'autres façons d'amener un sujet à "se sentir mieux ", en lui offrant la possibilité d'interroger justement les concepts avec lesquels il tente de définir son être et ce qu'il ressent n'a pas été évoqué.

Si nous entendons bien, la tristesse est considérée ici « pour elle-même », en tant que chacun pourrait s’y référer. Cela se fait sans interroger le concept, la possibilité d’être triste, ce qui peut rendre triste, ni le fait qu’on ne puisse éventuellement rien en dire : « Il y a des gens qui ont tout ce que leur cœur désire et qui sont tristes quand même » (9)

Lacan a insisté sur le fait qu’il n’est « pas du tout évident » qu’un enfant pleure, par exemple quand il reçoit une gifle, et que la notion de compréhension ne suffit pas pour interroger ce qui est mis en jeu.

Que serait-il dit ici de l’enfant qui demanderait si la gifle est « une caresse ou une claque » ? La question viendrait-elle à s’éteindre ? Une remarque dans le public a d'ailleurs ciblé l'accent de " réalité en soi" des concepts ainsi pris en compte.

Le sujet traité par M. Widlöcher était « l'évaluation des stratégies dans le champ des psychothérapies psychodynamiques ». Il a tenté d'introduire une différence avec les exposés précédents par le biais de la sémiologie, en posant qu'il s'agit de distinguer entre psychose et névrose avant de conclure par exemple à la présence d'une phobie sociale. Il a dit aussi que le but de la psychothérapie pouvait ne pas être seulement le bien-être, mais aussi viser à une meilleure compréhension de soi.

Il est ensuite entré dans le vif du sujet : il faut évaluer et les thérapies dynamiques doivent obéir à ce principe, elles ne peuvent prétendre lui rester extérieures. Il le faut, selon lui, pour développer des "stratégies de traitement", des" profils de stratégie", et là encore, pour l'obtention d'un savoir et une plus grande efficacité.

Pourtant, la première question qui vient à l'esprit est :

Au nom de quoi ce principe devrait-il s'imposer ? Le champ des psychothérapies n'a-t-il pas depuis longtemps développé des points de repère théoriques et ses méthodes propres pour analyser la position du thérapeute et les effets du travail entrepris ?

Le seul point qui ait été développé est celui des outils qui permettraient cette évaluation. Il faudrait, nous dit-on, décrire ce que nous faisons et non ce que nous croyons faire, l'évalué étant le thérapeute et non le patient. Descriptions de séance, discussions de groupes de pairs, pose de diagnostics fiables (DSM), constitution de bases de données, approche visant à prendre en compte TOUS les " ingrédients activés au cours des différentes phases ".

La logique de l’évaluation est bien ici à l’œuvre, évaluer les « thérapies dynamiques », cela veut dire ici évaluer la psychanalyse, comment ?

M. Thurin propose par exemple de repérer les « troubles » sur « une base DSM » (10).

Cela permet, selon nous, d’évacuer le champ de la psychanalyse, son histoire et les différentes écoles qui s’y réfèrent, ses points de repère propres, ses modes opératoires… et de s’instaurer en place d’opérateur d’un découpage prétendant mesurer de façon isolée certains éléments.

Manifeste est l’intention, la volonté de faire entrer la psychanalyse dans ce monde des objets évalués, mesurables, dont nous venons de dresser quelques-unes des caractéristiques, pour plus de précision, lire bien sûr « Voulez-vous être évalué ? » (11)

Faire entrer la psychanalyse dans un cadre où bien sûr certains effets, pré-listés pourront être mesurés, mais où par définition le sujet du désir est absent. Comment s’y prendre en effet, quelle torsion opérer, pour prétendre pouvoir en inscrire les effets ?

Prendre par un bout et mesurer l’un, le thérapeute.

Produire des stratégies, soit des modèles dits efficaces on le suppose, et viser à leur application, sur des sujets retenus comme ceux qui répondront, obéiront au cadre d’intervention découpé sur mesure, avant même qu’ils se présentent ?

Mais comment faire quand Jean Michel Thurin mentionne lui-même le rôle majeur " des interactions patient-thérapeute " ? Quoi du transfert ? Et quoi, bien sûr, de la psychothérapie ?

C’est là transformer la psychanalyse pour en faire non une pratique du cas par cas, de l’ici et maintenant, en chair et en os pour l’un et l’autre, mais une méthode, une stratégie, une recette.

Que dire d’une telle méthode, qui implique de supposer savoir, en amont de la rencontre, ce qui serait à dire, à faire, pour que DES individus empruntent la direction qu’on aurait l’intention de leur voir prendre ?

On ne peut qu’interroger une telle politique.

C’est alors que « la santé », et au-delà l’être humain, « devient un problème politique et la politique de santé participe d’une normalisation collective des comportements érigée en politique d’Etat ». Ainsi faisant, en « massifiant et en uniformisant les conduites, la politique de santé publique les exproprie de leur singularité… » (12).

La méthode postule qu’il y aurait là un maître. Un « supposé savoir universel et incontesté en matière de santé » pour qui « tout peut être objet d’évaluation » « tout peut être matière à solution », sans « insubstituable » (13)

Un « supposé savoir quoi ? Comment opérer ? Mais ça serait tout à fait excessif de dire que l’analyste sait comment opérer » (14)

Dès lors il y aurait bien là une transformation : celle de l’analyse qui n’en serait plus une.

Si l’analyste « ignore la portée des mots pour son analysant », ainsi de la signification de la gifle pour l’enfant, plutôt lui faut-il agir en sachant quelque chose de cette destitution, en endossant une place plutôt qu’un habit.

Un texte récent, parmi d’autres, intitulé : « Pour la psychanalyse », en dit quelque chose

« La psychanalyse est une pratique qui consiste à suivre le fil d’une parole sans l’anticiper d’un quelconque savoir. Elle s'instaure comme échappée devant toute assignation à ce qu'il y ait une réponse concertée face à la folie, qu'elle soit hystérique ou délirante. L'œuvre de Freud est indissociable de la création d'un espace où se transmet cette question inaugurale posée par l'hystérique à l'adresse des savoirs d'anticipation, elle interdit de construire une science des rêves en dehors de la parole singulière de chaque rêveur. » (15)

Notre compte-rendu s'arrêtera là, avec notre départ. Il nous est apparu que ce colloque tentait de maintenir dans l'ombre l’existence d’autres postulats que celui défendu au cours de la journée, ce pourquoi les interventions se sont cantonnées à un champ délimité à l’avance.

Plusieurs interventions de participants du collectif « Pas zéro de conduite » ont souligné ce rabat sur les comportements, le biologique, le risque de stigmatisation. La tenue d’un débat transdisciplinaire, « qui réintroduise les sciences humaines et la psychanalyse dans la réflexion », n’a pas eu cours (16)

La question de Jean-François Cottes, qui portait sur la date où aurait lieu le colloque sur les psychothérapies qui avait été annoncé, a été déclarée « valable » mais renvoyée sur les interventions à venir, et sur l’analyse en dernière instance, par l’Inserm seule, de ce qui serait ultérieurement jugé pertinent.

Pas de débat sur les psychothérapies donc, il s’agissait de le maintenir hors cadre.

Bibliographie :

1- De Brem P., Poupon C. (Expert) : Le plus grand centre de recherches sur le cerveau. Chapitre 3 : Un nouvel outil pour des recherches plus poussées, 22 08 2005.

http://www.savoirs.essonne.fr/dossiers/la-vie/medecine-sante/article/type/0/intro/le-plus-grand-centre-de-recherches-sur-le-cerveau/chapitre/un-nouvel-outil-pour-des-recherches-plus-poussees/

2- Valmaggia Lucie : [PPT] www.londondevelopmentcentre.org/silo/files/1212.ppt

Format de fichier : Microsoft Powerpoint - Version HTML. Early detection and intervention for people with an at risk mental state for psychosis. Dr Lucia Valmaggia. OASIS. London, 07/03/07.

3- Grob Gerald N : « The origins of American Psychiatry Epidemiology », American Journal of Public Health (AJPH), mars 1985, Volume 75, N°3, page 231.

4- Deprins Dominique, professeur de probabilités et de statistiques, Bruxelles, « la statistique, symptôme de la pensée hyper-moderne, de la causalité efficiente à la causalité psychique », Journées du SIUEERPP, 20 mai 2006.

5- Assemblée nationale, session ordinaire du 22 juin 2006, Annexe au procès-verbal de la séance du 21 juin 2006, http://www.assemblee-nat.com/12/rap-off/i3187.asp Viviane Kovess-Masfety, médecin psychiatre, professeur Université Paris 5, et les troubles externalisés (hyperactivité, troubles des conduites)….

6- Duponloup Anne : L’hyperactivité infantile, Analyse sociologique d’une controverse médicale, Thèse en vue de l’obtention du grade de docteur es-sciences sociales, Neuchâtel, 2004, page 296.

7- Anne Lovell, Rapport « Etude de la surveillance dans le champ de la santé mentale », Chapitre 4 : Problèmes de définition et de délimitation de l’objet de la surveillance en santé mentale, pages 12-13. [PDF] http://www.invs.sante.fr/publications/2005/sante_mentale_110105/etude_santementale.pdf

8- Séminaire d’épistémologie, Service hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique (Pr J-P Olié) Centre Hospitalier Sainte-Anne, 25 avril 2007

9- Lacan Jacques : Le séminaire, 1955-1956, Livre 3, Les psychoses, Editions du Seuil, page 14.

10- Thurin J.-M. : Peut-on évaluer la psychanalyse, 13 02 06, http://www.techniques-psychotherapiques.org/Recherches/Methodes/PsychanalyseEval.html.

11- Miller J.-A., Milner J.-C. : Voulez-vous être évalué ?, Editions Grasset, 2004.

12- Jacques Lacan : Le Séminaire, 1977-1978, Livre XXV, Séance du 15 novembre 1977, Une pratique de bavardage.

13- Gori R., Del Volgo M.-J. : La santé totalitaire, Denoël, 2005, page 16

14- Miller J.-A., Milner J.-C. : Voulez-vous être évalué ?, Ibid. supra, page 30.

15- Franck Chaumont, Roger Fereri, Vincent Pardigon : « Pour la psychanalyse" http://www.le-point-de-capiton.net/Memoire/memoire.htm

16- Le Collectif « Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans », Erès, 08 06 2006.

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    <http://daniel.calin.free.fr/publications/vincent.html> "Trouble Oppositionnel avec Provocation" (TOP) n'est que la traduction française de "Oppositional Defiant Disorder" (ODD). Ce "désordre" est une invention de l'American Psychiatric Association, créatrice du DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual - Revision 4). Le TOP/ODD porte le code 313.81 dans ce manuel de diagnostic psychiatrique. Voir, en anglais, la mise en ligne complète du DSM-IV. Voir aussi la traduction française de la définiton du TOP/ODD. On ne rit pas, s'il vous plaît, c'est de la psychiatrie scientifique ! *********************** Qu'est-ce que le trouble oppositionnel avec provocation ? Voici les critères diagnostiques du DSM IV pour ce trouble: A. Ensemble de comportements négativistes, hostiles ou provocateurs, persistant pendant au moins 6 mois durant lesquels sont présentes quatre des manifestations suivantes (ou plus): (1) se met souvent en colère (2) conteste souvent ce que disent les adultes (3) s'oppose souvent activement ou refuse de se plier aux demandes ou règles des adultes (4) embête souvent les autres délibérément (5) fait souvent porter sur autrui la responsabilité de ses erreurs ou de sa mauvaise conduite (6) est souvent susceptible ou facilement agacé par les autres (7) est souvent fâché et plein de ressentiment (8) se montre souvent méchant ou vindicatif N.B. On ne considère qu'un critère est rempli que si le comportement survient plus fréquemment qu'on ne l'observe habituellement chez des sujets d'âge et de niveau de développement comparables. B. La perturbation des conduites entraîne une altération cliniquement significative du fonctionnement social, scolaire ou professionnel. C. Les comportements décrits en A ne surviennent pas exclusivement au cours d'un trouble psychotique ou d'un trouble de l'humeur. D. Le trouble ne répond pas aux critères du troubles des conduites ni, si le sujet est âgé de 18 ans ou plus, à ceux de la personnalité antisociale. Souvent, les sujets ne se considèrent pas eux-mêmes comme hostiles ou provocateurs mais perçoivent leurs conduites comme étant justifiées en réaction à des demandes déraisonnables ou des circonstances injustes. Le nombre de symptômes tend à augmenter avec l'âge. Le plus souvent, les symptômes se manifestent d'abord à la maison et s'étendent, avec le temps, à d'autres environnements. Ainsi le trouble n'est pas toujours visible à l'école, en collectivité ou lors d'un examen clinique (chez un professionnel de la santé). Les comportements perturbateurs sont moins sévères que dans le trouble des conduites et n'incluent généralement pas d'agressions physiques envers les personnes ou les animaux, de destruction de biens matériels, ou de recours habituel au vol ou à l'escroquerie. Le trouble apparaît habituellement avant l'âge de 8 ans. Avant la puberté, le trouble est plus fréquent chez les garçons que chez les filles. Après la puberté, les taux de prévalence se rapprochent. Les symptômes sont généralement similaires bien que les garçons aient davantage de comportements de confrontation. Selon les populations étudiées et les méthodes utilisées, le taux de prévalence varie de 2% à 16%. On a montré que, pour les garçons, le trouble est plus fréquent chez ceux ayant présenté, avant l'âge scolaire, un tempérament difficile (p. ex., réactivité excessive, difficulté à se calmer) ou une hyperactivité motrice. À l'âge scolaire, on peut observer une mauvaise estime de soi, une labilité de l'humeur, une faible tolérance à la frustration, un langage grossier, et une consommation précoce d'alcool, de tabac ou de drogues illicites. L'enfant est souvent en conflit avec ses parents, ses professeurs ou ses camarades. Ce trouble est plus fréquent dans les familles où la continuité de l'éducation a été interrompue à cause de la succession de personnes différentes, ou dans lesquelles les pratiques éducatives ont été dures, incohérentes ou négligentes. Il est plus fréquent dans les familles où existe un conflit conjugal grave et semble plus fréquent dans les familles où au moins l'un des parents a des antécédents de trouble de l'humeur, de trouble oppositionnel avec provocation, de trouble des conduites, de déficit de l'attention/hyperactivité, de personnalité antisociale ou de trouble lié à une substance. Référence: American Psychiatric association, DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Traduction française, Paris, Masson, 1996, 1056p.