L'instance représentant de la représentation, une proposition, de la traduction nouvelle de Die Vorstellungsrepräsentanz .

C'est Rosine Lefort qui m'a posé un jour, comme en passant,  cette question: « Vous, dont la langue maternelle est l'allemand, comment traduiriez–vous « Die Vorstellungsrepräsentanz », car « représentant représentation », pour moi, cela reste très abstrait, pour ne pas dire incompréhensible ». J'ai répondu, sans réfléchir:

« Instance représentante de la représentation », puis j'ai tenté de me rétracter. Ce n'est pas ainsi que cela se traduit, depuis le temps que l'on traduit Freud, et cette formulation, je venais de la produire sur place, sans autre justification que ma propre conviction, mon propre « entendement », devrais-je dire.

Loin de me laisser me rétracter, Rosine Lefort m'a demandé de porter témoignage de cette conviction, de la justifier si possible et d'apporter mes preuves.

Si, en fin de parcours ma conviction s'avérait erronée, il me faudrait accepter d'y renoncer, mais pas avant d'avoir essayé de voir où ça nous mène.

VORSTELLUNGSREPRÄSENTANZ est un nom composé de deux noms dont le premier est au génitif : VORSTELLUNG.

VORSTELLUNG = REPRESENTATION.

Stellen = poser

Vor = devant, avant .

1) Stellen sie sich vor : présentez-vous

Je vous présente Madame Untel : Ich stelle ihnen Frau so uns so vor .

2) Vorstellung = une représentation … de théâtre ou de cinéma;

3) Vorstellung = imagination ou plus exactement : Vorstellen c'est imaginer.

Was stellen sie sich vor ? Qu'allez vous imaginer ?

Ich habe mir das so vorgestellt : C'est ainsi que je me suis imaginé cela.

Dans le « Vocabulaire de la Psychanalyse » de la Laplanche et Pontalis on trouve la définition suivante (p.414) pour Vorstellung : terme classique en philosophie et en psychologie pour distinguer « ce que ce que l'on se représente, ce qui forme le contenu concret d'un acte de pensée » et « en particulier reproduction d'une perception antérieure ». Freud oppose la représentation à l'affect, chacun de ces deux éléments subissant, dans les processus psychiques, un sort distinct.

En principe le mot « Vorstellung » ne pose pas de difficultés de traduction . On note pourtant, chez les mêmes auteurs, à la page suivante : « Dans l'usage freudien, la distinction entre trace mnésique et la représentation comme investissement de la trace mnésique (c'est moi qui souligne), si elle est toujours implicitement présente n'est cependant pas toujours nettement posée. » Je me suis demandé si cette distinction n'est pas introduite par Lacan lorsqu'il emploie les mots « présentifier » et « présentification ».

REPRASENTANZ.

C'est un mot rare qui ne figure pas dans les dictionnaires usuels (Larousse et Sachs et Villate). Il ne figure pas non plus dans le Vocabulaire de la Psychanalyse en tant que terme isolé, mais seulement associé à Vorstellung (représentation) et Trieb (pulsion). C'est pourtant un terme employé très souvent par Freud, en particulier dans les trois articles de la Métapsychologie sur lesquels il nous faudra sans cesse revenir : Pulsion et Destin des pulsions, Le Refoulement et L'inconscient.

Die Repräsentanz, c'est un nom féminin. En allemand, ça fait « jargon » savant, ou langue étrangère. Cela vient-il du français ? Cela indiquerait qu'il y aurait en français un mot qui se dirait « représentance », ce qui est faux. Nous avons en français « repentance » (de repentir) « espérance » (de espérer), « partance » (de partir), mais point de représentance.

J'avais déjà écrit cette partie de mon travail lorsque j'ai eu entre les mains la nouvelle traduction de la Métapsychologie de Freud. Les traducteurs y utilisent effectivement ce néologisme de « représentance ».

Je crois qu'il est dangereux, pour un traducteur de créer un néologisme en guise de traduction, surtout s'il s'agit de la traduction d'un concept nouveau. Cela demande toujours une note en bas de page, où le traducteur est bien obligé de dire par une périphrase ce qu'a « voulu dire » l'auteur dans sa langue à lui. Et cela revient à dire ce que lui, le traducteur a compris de ce nouveau concept. Traduttore traditore. Il n'en peut mais, le traducteur, est bien obligé de s'approprier la pensée de l'auteur, signifiants et signifiés confondus, et de redonner une signification avec ses propres signifiants. Cela mobilise bien autre chose que son capital lexical ou grammatical, cela mobilise aussi toute sa pensée inconsciente, ses affects et son histoire.

C'est ce qui permet à chaque traducteur d'y aller de sa petite idée personnelle sur la question, et ce dont je m'autorise pour proposer ma traduction pour le mot Repräsentanz : :instance représentante, Triebsreprsentanz devenant :instance représentante de la pulsion et Vorstellungsreprasentanz : instance représente de la représentation.

Repräsentanz ne venant pas directement du français, renvoie donc au latin. Ce n'est ni rare ni surprenant, car du temps de Freud le latin était utilisé très communément dans le langage courant. Encore aujourd'hui, le plus familier des saluts entre copains, à Vienne se dit « Servus » (Serviteur en latin). Entre gens qui ont fait leurs humanités on employait des citations latines, que nous retrouvons souvent dans la correspondance de Freud : observations « in statu nascendi » (en train de naître) des phénomènes, « furor sanandi » reprochée à Ferenczi, « Circulum vitiosus » etc…Les médecins avaient tous une excellente connaissance du latin, et le jargon médical était du latin.

Donc Repräsentanz vient du latin, forme substantivée du verbe REPRESENTARE. Il existe trois formes de verbes substantivés en latin, l'infinitif, le gérondif et le supin.

C'est sans doute du gérondif q'il s'agit, dans le cas qui nous intéresse. Voici ce qu'en disent les grammairiens:

Greiner et Billoret : « le gérondif se traduit par un infinitif: lire, un nom : la lecture, le gérondif français : en lisant. Pour le gérondif de « representare » ce serait, infinitif: le représenter, un nom : la représentance (nous avons dit plus haut que ce mot n'existait pas en français) le gérondif : en représentant.

Bizos et Desjardin disent comme les précédents que « c'est d'une façon générale l'équivalent de l'infinitif précédé de l'article, une sorte de substantif verbal ou d'infinitif décliné. Il correspond en français à l'infinitif précédé d'une préposition, au participe présent précédé de « en » et se traduit souvent par un simple nom. « Mais ils ajoutent: » Ces tours équivalent souvent à un nom accompagné d'un complément ».

Repräsentanz se traduirait donc par de la représentation (si le complément est l'équivalent du génitif, ou à la représentation si c'est un datif par exemple), et Vorstellungsrepräsentanz…. ? Comment traduire un génitif suivi d'un autre génitif ou d'un datif ?

Conduite à l'absurde par le latin, je me suis tournée vers l'anglais, avec un peu plus de bonheur. La forme progressive en «  ING » me donne quelqu'argument, puisqu'elle se traduit par « en train de » : representing se dirait «  en train de représenter ».

Voilà qui m'a fait partir sur une autre piste, et cela m'est venu à l'esprit ( ist mir eingefallen ) en faisant l'analogie entre les mots représentant et ambassadeur.

En pays étranger l'ambassadeur est le représentant de son pays propre, et il habite son ambassade. Du masculin der Repräsentant, le représentant, nous sommes passés au féminin die Repräsentanz, le lieu de la représentation. (L'ambassade)

L'ambassade est bien, en pays étranger - donc en exterritorialité - un pseudopode de son propre pays, de son ministère des affaires étrangères, et en ce qui concerne la France, du Quai d' Orsay.

Qu'est-ce donc que le quai d'Orsay, lieu repérable sur le plan du métro ? C'est un signifiant qui, métonymiquement représente :

Un lieu

Des personnes, les ambassadeurs

Une fonction : celle de représenter les intérêts du pays dans ses rapports avec les autres gouvernements, en tant que porte parole.

Je dirais en allemand : «Der Quai d'Orsay ist die Repräsentanz der französicschen Republik», retraduit en français: «Le Quai d'Orsay est l'instance représentante de la République Française.»  .

L'instance est le terme nouveau introduit dans cette traduction, c'est donc ce terme- là qui demande à être justifié, en quelque sorte.

Le Littré donne les définitions suivantes:

) Soin extrême, pressant.

2) Sollicitation pressante.

3) Nom qu'on donne à tout procès où il y a demande et défense.

Le Robert, plus moderne, donne les définitions juridiques de ce mot:

1) poursuite en justice « Introduire un instance » .

2) en attente: « Courrier en instance » .

3) Première instance: « tribunal de première instance »

4) Juridiction: l'instance supérieur, corps constitué qui détient un pouvoir de décision « les instances internationales ».

Rappelons qu'en latin in-stare veur dire se tenir dedans.

L'instance c'est donc

- que ça insiste (je te le demande avec instance)

- que c'est là que ça se juge (tribunal de première instance)

- ç'est là où ça se tient (instare)

- par extension c'est aussi le débat, question et réponse, procès donc, qui devient l'instance (révision d'un loyer sous réserve d'une instance en cours). L'instance, c'est à la fois le lieu et ce qui s'y passe, (d'un procès, d'une controverse.)

Le lieu où ça se passe, voilà qui est sans équivoque, mais ce qui s'y passe ? comment en rendre compte ?

Pour passer par une porte, il faut : une porte ( le lieu), et quelqu'un ou quelque chose qui passe par la porte, une énergie quelconque qui fasse passer le quelque chose par la porte.

Cette « Vorstellung » (représentation) de ce que pourrait être, finalement, Vorstellungrsrepräsentanz (Instance représentante de la représentation) m'est personnelle. Plus sérieusement, voici ce que j'ai trouvé dans l'article de Freud : « Die Verdrängung » (Le refoulement ; p. 250 des G.W. et p. 191 de la nouvelle traduction de O.C). J'en donne ma propre traduction, qui ne diffère pas beaucoup de l'autre :

« Nous pensons aussi que refoulement et inconscient sont corrélatifs à un tel degré, que nous devons remettre à plus tard d'approfondir l'essence du refoulement jusqu'à ce que nous en ayons appris davantage sur la construction de la séquence (mot à mot : du train ) des instances psychique ( c'est moi qui souligne) ».

Dans le séminaire sur les psychoses à la page 124, Lacan dit :

« Les choses sont simples. Mais il faut encore que l'ordre du signifiant, le sujet l'acquiert, le conquiert, soit mis à son endroit dans un rapport d'implication qui touche à son être, ce qui aboutit à la formation de ce que nous appelons dans notre langage le surmoi. Il n'est pas besoin d'aller bien loin dans la littérature analytique pour voir que l'usage qui est fait de ce concept convient bien à la définition du signifiant, qui est de ne rien signifier, par quoi il est capable de donner à tout moment des significations diverses. Le surmoi est ce qui nous pose la question de savoir quel est l'ordre d'entrée, d'introduction, d'instance présente du signifiant qui est indispensable pour que fonctionne un organisme humain, lequel a à s'arranger non pas seulement avec un univers naturel, mais avec un univers signifiant……A quoi tiennent les symptômes ? sinon à l'implication de l'organisme humain dans quelque chose qui est structuré comme un langage, par quoi tel élément de son fonctionnement va entrer en jeu comme signifiant. »

L'instance représentante est donc le lieu ( topologique)

Où le procès advient, (procès qui a à juger de ce qui sera ou non refoulé, si on fait référence aux textes précédents), mais aussi l'objet du procès : le signifiant.

J'ai relu la traduction dernière de la « Verdrängung », le Refoulement, en remplaçant chaque fois « Représentatance » par « Instance représentante », et cela m'a semblé donner de la clarté au texte. Il faudrait que ce soit relu par d'autres, et qu'ils confirment cette opinion.

Par ailleurs j'ai repris le texte de Lacan « Sur la théorie du symbolisme d'Ernest Jones » ( in Ecrits, p.714). Il y cite les trois articles de Freud qui reviennent à chaque instant dans ce travail ; voici qu'il écrit:

« C'est le signifiant qui est refoulé, car il n'y a pas d'autre sens à donner dans ce texte au mot Vorstellungsrepräsentanz. »

Avec ma proposition de traduction cela donne: « C'est le signifiant qui est refoulé, car il n'y a pas d'autre sens à donner dans ce texte aux mots : instance représentante de la représentation. »

En parallèle je voudrais citer un paragraphe de « L'inconscient » de Freud ( p.276 des G.W.) qui est d'une grande parenté avec la citation de Lacan :

« Si la pulsion n'était pas rattachée à une représentation, ou n'apparaissait pas comme état d'affect, nous ne pourrions rien savoir d'elle. Si nous parlons quand même d'une motion pulsionnelle inconsciente ou d'une motion pulsionnelle refoulée, il s'agit d'une inoffensive négligence d'expression. Nous ne pouvons pas vouloir dire autre chose qu'une motion pulsionnelle dont l'instance représentante de la représentation (die Vorstellungsrepräsentanz) est inconsciente, car il ne peut s'agir de rien d'autre. »

Un avion à réaction trace un ligne dans le ciel qui perdure longtemps après son passage. D' ailleurs nous n'aurions pas pu voir l'avion, il était trop haut, inaccessible au regard. La trace qu'il laisse est tout ce que nous voyons. Ce n'est pas une représentation de l'avion, c'est l'instance qui nous permet de nous en faire une représentation : l'instance représentante de la représentation, Die Vorstellungsrepräsentanz.

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Article paru dans la Revue Le Coq Héron

Suzanne Achache Wiznitzer

29, rue Boissonade,

75014 PARIS